Hachette.fr : Bonjour Agnès Naudin, vous êtes l’autrice d’Enfances perdues, co-écrit avec Jean-Claude Bartoll et Eric Nosal. Comment résumeriez-vous votre bande dessinée ?
Agnès Naudin : Dans Enfances perdues, nous suivons les traces d'une jeune officier qui entre en brigade territoriale de protection de la famille. Elle va découvrir ce milieu en même temps qu'elle doit apprendre le job, trouver sa place d'officier et mener ses premières enquêtes.
La bande dessinée a donc été faite à 6 mains. Comment la conception de la bande dessinée s’est-elle déroulée ?
J'ai entièrement écrit le scénario. Après une relecture de l'éditeur, il a été convenu de le découper en trois histoires principales, avec une quatrième en filigrane que l'on commencerait dans ce tome et que l'on poursuivrait dans les prochains. Ensuite, Jean-Claude Bartoll m'a aidée à faire le découpage en cases, en bulles. Une fois le tout bien ficelé, nous l'avons confié au dessinateur auquel on n'a donné aucune indication : il a été complètement libre de faire tout ce qu'il voulait.
Était-ce un choix d'en faire une bande dessinée dès le départ ?
Pas du tout. C'est mon éditeur qui est venu vers moi me disant que c'était un sujet qui n'était pas du tout traité en bande dessinée et qu'il avait envie de se lancer dans l'aventure. J'ai accepté parce que je trouvais que c'était génial, même si la BD n'était pas du tout l'univers dans lequel j'avais eu l'habitude d'évoluer. Ça a été une expérience très différente et très enrichissante du point de vue tant de l'écriture que d'un point de vue humain.
Avant de co-scénariser Enfances perdues, vous avez été capitaine de police au sein de la brigade territoriale de protection de la famille. Dans quelle dimension cette bande dessinée est-elle inspirée de votre vie ?
Toutes les dimensions. La différence entre la BD et mes autres ouvrages, c'est qu'en réalité la BD me ressemble beaucoup plus. C'est facile de se cacher derrière la fiction pour raconter ce que l'on veut, et cette fois c'est complètement inspiré de celle que je suis.
La bande dessinée est découpée en 3 parties principales, chacune mettant en valeur une histoire policière particulière. Comment avez-vous choisi ces histoires ? Sont-elles directement inspirées de votre expérience professionnelle ?
Ce sont des enquêtes que j'ai traitées. Celle de la nourrice a été une des premières histoires que j'ai traitées - j'ai choisi les deux autres parce que ce sont celles qui reflètent le mieux la vie de la brigade en règle générale.
Parallèlement à ces histoires, on voit aussi la vie personnelle de la capitaine de police, ainsi que l'environnement ambiant avec les "colleuses" notamment ou les manifestations en soutien à Adama Traoré. Et, en filigrane, on a aussi l'histoire d'un vieux monsieur qui joue au ping-pong, qui reste assez énigmatique. Que signifie cette histoire ? S'agit-il d'une enquête en cours ?
C'est une enquête que j'ai traitée et qui a bien une fin. Sauf que l'on a choisi de ne pas la dévoiler dans ce volume parce que c'était important pour moi de faire comprendre que l'histoire d'un pédophile, c'est quelque chose qui prend du temps, qui ne se fait pas du jour au lendemain, qui se construit au fur et à mesure, que l'emprise met du temps à s'installer. C'est pour cela qu'on ne l'a volontairement pas terminée, puisqu'il y aura, je l'espère, un deuxième tome.
Au fil des pages et des histoires qui nous sont racontées, il apparait que le travail judiciaire doit composer entre un système parfois défaillant et un mécanisme de « parole contre parole ». Qu’en pensez-vous ?
"Parole contre parole", en l'occurence, c'est la vie de la brigade. Dans ces affaires, il y a très peu de preuves qui viennent appuyer la parole d'un enfant - ou d'un adulte aussi, parce que souvent l'on a face à nous des adultes qui ont vécu des traumatismes dans l'enfance. Et autant vous dire que des preuves remontant à 15 ans en arrière, il n'y en a pas. Il faut donc composer avec cela : à partir de la parole de l'un ou de l'autre, il faut que ce soit cohérent entre ce qui est raconté et la personnalité de la personne face à nous. Concernant les dysfonctionnements du système, la première histoire les pointe du doigt. J'aimerais appuyer encore sur ce problème dans le tome 2 puisque la même mairie, dans une autre affaire, a aussi fait de la m*rde. Le fait de vouloir faire de la BD une série, c'est de montrer, au fur et à mesure que des choses s'installent, comment cette jeune capitaine va se retrouver confrontée à analyser les situations et vouloir agir.
La bande dessinée met aussi le doigt sur l’impact psychologique que peut avoir un tel métier. Comment réussir à gérer cet aspect ?
On peut le gérer par le sport, la méditation - il faut se trouver des bulles d'aération. Evidemment, la vie privée dans ce genre d'unité, surtout lorsque l'on est mère célibataire, elle n'est pas simple. Je me suis vraiment inspirée de ma vie pour montrer comment ça se passe, aussi bien les bons côtés que les mauvais
Pensez-vous que le sujet de votre livre soit tabou, ou qu'il puisse faire peur aux lecteurs ?
J'entends souvent les gens dire que la maltraitance familiale est un sujet important dont il faut parler. Il ne s'agit pas que d'en parler, il faut s'informer aussi. La bande dessinée participe à la prévention de ces situations et de ces problèmes. En parler, c'est une chose, mais ce n'est pas utile si l'on ne va pas au bout de la démarche en se renseignant en détail.
Propos recueillis par Shannon Humbert.