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03 Septembre 2013

Claude Arnaud au miroir de Proust et Cocteau

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Claude Arnaud au miroir de Proust et Cocteau

Dans son essai, Proust contre Cocteau (Grasset), Claude Arnaud défend la thèse selon laquelle l’auteur d’A la recherche du temps perdu aurait littérairement assassiné son contemporain Jean Cocteau.

Claude Arnaud en un clin d'oeil :

 

Claude Arnaud est un romancier, essayiste et biographe français.

 

Pourquoi on aime "Proust contre Cocteau" :

 

Biographe de Jean Cocteau, Claude Arnaud ne cache pas sa grande admiration pour le poète et son regret de ne lui voir rendus que des hommages aussi diffus qu’on pense son œuvre dispersée. Son dernier essai, Proust contre Cocteau (Grasset) - outre qu’il a le mérite d’honorer à la fois le centenaire de la parution de Du côté de chez Swann et les cinquante ans de la disparition de son auteur fétiche – rappelle non seulement que Marcel Proust et Jean Cocteau se sont bien connus, mais élabore en plus la thèse passionnante selon laquelle le premier aurait assassiné littérairement le second.

 


Présenté comme un "tyran affectif" dès sa jeunesse - avec sa mère, notamment, qu’il aima mal –, Proust rencontre Cocteau vers 1909-1910 dans un quelconque salon, lieux qu’ils fréquentaient tous deux malgré leurs vingt ans d’écart. Proust est immédiatement séduit par ce cadet affichant une vivacité folle et affabulatrice dès son plus jeune âge et déjà très familier des mondanités parisiennes. Si Cocteau n’a alors que 21 ans, les deux partagent autant leurs amis que leur snobisme et leurs mots d’esprit.

 


Dans une écriture précieuse et précise telle une dentelle, limpide comme un récit romanesque, ornée de citations, d’extraits de correspondances et truffée d’anecdotes, Claude Arnaud relate notamment les souvenirs de Cocteau qui rend visite à son aîné dans son appartement capitonné, le trouvant toujours au lit à relire et assembler ses "paperolles". Ce qui fera de lui l’un des premiers lecteurs de la Recherche et son premier et plus fervent admirateur à l’époque – Cocteau pousse même le manuscrit auprès de Grasset après le refus de Gallimard et défend sincèrement ce chef-d’œuvre partout où il passe. Hasard de la vie et des talents : c’est le jeune homme qui contribuera à lancer sur la scène littéraire un Proust déjà usé. Le poète sait-il qu’il a signé son arrêt de mort ? "L’écrivain dont on parle désormais, c’est Proust. (…) Impatient de devenir le grand Proust, le petit Marcel achèverait-il de conjurer le sort en desserrant les liens qui le rattachent à sa préhistoire mondaine ? Ou craint-il, alors que les portes du panthéon s’ouvrent à lui, de subir la punition d’Orphée en se retournant vers Eurydice-Cocteau ?", écrit Claude Arnaud. L’émulation se transforme peu à peu en vraie rivalité, l’amitié voire l’amour en une forme de rancœur voire de haine et la bienveillance de Proust en pression inquisitrice. De même que Proust le délaisse, le soutien de Cocteau à son égard faiblit, d’autant plus après l’attribution du prix Renaudot à A l’ombre des jeunes filles en fleurs. Car Proust jubile alors de sa nouvelle prestance littéraire et se venge de son anonymat passé et de son ami qui deviendra dans La Recherche le terne Octave, un bien piètre alter ego de papier.

 


Pour Claude Arnaud, on est proche du meurtre de  sang-froid comme on élimine un témoin gênant. Car Proust est un "impuissant". Aujourd’hui auteur absolu, il resta longtemps un "non-écrivain" tandis que son cadet de vingt ans brilla dès son jeune âge en poésie, en dessin, au théâtre autant qu’en société. Sa tendance à l’éparpillement contribuera à reléguer Cocteau quand Proust parviendra finalement à produire une œuvre monumentale aboutissant sur la révélation littéraire. Enfin, le narrateur de la Recherche apparaît blanc comme neige au milieu d’une assemblée de marionnettes dépravées. Mais, avance Claude Arnaud, Proust s’inspire de ses propres travers et n’a de cesse de les camoufler en transférant ses propres vices et manies sur ses personnages. Car la Recherche n’est autre que l’oeuvre d’un érotomane honteux de son homosexualité. Cocteau, lui aussi familier du lieu tabou de Sodome, aura donc pâti d’en savoir trop. Dans cet ouvrage brillant, Claude Arnaud en profite donc pour réviser le dogme du Contre Sainte-Beuve proclamant que l’écriture n’est pas la vie, derrière lequel Proust s’est perpétuellement caché, brouillant ainsi les pistes de l’herméneutisme quant à son œuvre foisonnante. Proust aura réussi, en tout cas avec Cocteau, à mener à bien son entreprise consistant à "enfermer les êtres pour les avoir à soi". Jean Cocteau souffrira, lui, toujours de ce qu’il finira par ressentir comme une injustice à la limite de la perversité. 

 

La page à corner :

 

Dans l’antre de Proust, Cocteau aura été l’un des premiers et des seuls à assister à la lente et sidérante fabrique de la Recherche. Peinant à trouver son rythme de lecture, empêtré dans sa propre prose et ses paperolles interminables, Proust décrète parfois trouver son manuscrit "rasoir", "trop bête" : "Autre indice de la radicalisation littéraire de Proust, quand Cocteau vient le visiter boulevard Haussmann, il a désormais droit à des lectures de la Recherche. Après lui avoir fait traverser des rangs de meubles couverts de housses que les déménageurs semblent avoir déposés la veille, un domestique le mène vers cette chambre de liège, de poussière et de fioles où Proust, couché et ganté pour ne pas se ronger les ongles, écrit dans la pénombre. (…) Après mille précautions d’usage et protestations de modestie, Proust s’empare d’un de ses cahiers d’écolier pour soumettre son cadet à un test. Mais son écriture est si proliférante, si enchevêtrée aussi, qu’il peine lui-même à la déchiffrer. (…) … L’homme aux mains glacées repousse soudain ses couvertures et les bouillottes qui tiédissent sur son ventre pour gagner le cabinet de toilette d’affaire criminelle. Il s’y soulage discrètement, à l’abri de son manuscrit-accordéon. Ne le voyant pas revenir, Cocteau quitte sa guérite de liège pour le retrouver parmi les fauteuils couverts de housses de lustrines et les banquettes empestant la naphtaline, ou dressé contre la cheminée d’un salon fleurant le second Empire : couvert de barbes, de perruques, de gants et de pelisses, Proust lui fait penser alors à quelque inventeur fou, piégé au milieu des mers, capitaine Nemo dans la cabine du Nautilus." (pp. 81-83)

 

 

"Proust contre Cocteau" dans la presse :

 

"Le plus beau texte parmi la pléthore qui sort cette année pour célébrer le centenaire de la publication de Du côté de chez Swann et les cinquante ans de la mort de Cocteau", Nelly Kapriélian, Les Inrocks.

 


"Claude Arnaud, avec sa finesse de gourmet lettré, rend sapides et vifs ces échanges feutrés entre deux divas de l’encrier", Marc Lambron, Le Point.

 


"Claude Arnaud déploie d’authentiques trésors de subtilité, puisant dans les biographies des deux écrivains pour tracer de chacun un portrait aussi fin que saisissant de justesse", Nathalie Crom, Télérama.

 


Noémie Sudre

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Paru le : 
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