Isabelle Monnin en un clin d’œil :
Isabelle Monnin est journaliste et romancière. Elle a notamment publié Vies extraordinaires d’Eugène et Daffodil Silver (JC Lattès).
Pourquoi on aime Les Gens dans l’enveloppe :
A première vue, Les Gens dans l’enveloppe pourrait être un objet complexe – un livre scindé en un roman et une enquête assorti d’un CD signé Alex Beaupain mêlant quatre voix connues et d’autres anonymes. C’est en fait un pur écrin d’émotion et de mélancolie qui se livre à nous.
Résumons : un jour de 2012, Isabelle Monnin, journaliste et romancière, apprend que l’on peut très aisément acheter sur internet des photographies d’inconnus. Fascinée par cette possibilité, elle acquiert un lot de 250 clichés des années 60 à 2000, cédé trois francs six sous par un brocanteur sur un site de vente en ligne. Elle les reçoit dans une grande enveloppe molletonnée et découvre avec stupeur des visages qu’elle ne connaît pas mais qui lui sont très vite familiers : une vieille dame portant constamment des verres fumés dont l’air revêche lui inspire le surnom de "Mamie Poulet", un homme dans la fleur de l’âge au regard triste, une femme d’âge mûr souvent prise dans l’exercice de la course à pied qu’elle semble pratiquer en compétition, un vieux monsieur qu’elle tarde à remarquer tant la pellicule semble l’avoir oublié. Et surtout, surtout, une petite fille, là en maillot de bain, ici sur un vélo, ailleurs avec un chien et dont un portrait au pull rayé et yeux dans le vague frappe particulièrement l’auteur. Mais où est la mère, grande absente des images ?
L’idée jaillit un jour et ne lâche plus Isabelle Monnin : il faut qu’elle écrive leur vie. Une fiction d’abord. Ensuite elle tentera de les retrouver et de ranimer les Gens figés sur la pellicule. Pour être sincère, l’écriture du roman devra bien sûr précéder l’enquête et ne plus jamais connaître de retouche. D’autant plus émouvantes qu’elles sont en fait d’une grande banalité – scènes de la vie quotidienne dans un village de la "France moyenne", souvent mal cadrées et floues – les images font très vite résonner trois voix dans la tête de l’auteur à commencer par celle de la gamine qu’elle prénomme "Laurence", puis de la mère, une "Michelle" qu’elle imagine prête à prendre la tangente, enfin de la grand-mère, "Mamie Poulet" donc, ou "Simone", guettée par la tentation de l’abandon à la mort. Eminemment poétique et métaphorique, la langue de cette première partie laisse ensuite place au journal de la recherche, plus net dans sa rédaction, mais tout aussi bouleversant.
C’est en progressant au jour le jour avec Isabelle Monnin dans cette enquête, dans la découverte émue des vrais "gens", que l’ouvrage prend vraiment corps. Le cœur se soulève quand certaines intuitions romanesques s’avèrent – des prénoms, des motifs dont celui, récurrent, de l’abandon, des zones d’ombres imaginées, des caractères, des destins vécus ou perdus – ou que le nom du village des gens se livre si facilement au détour d’une simple recherche Google (voir la page à corner ci-dessous). Et l’on prend dès lors un énorme plaisir à faire jouer les deux textes l’un avec l’autre par un système de signes et de résonances, à découvrir par exemple avec la romancière émerveillée que le personnage principal de l'arbre généalogique n’est sans doute pas tant la petite que son père, au centre d’une triple histoire d’abandon. On regarde aussi d’un œil attendri cette femme partagée entre l’excitation de son projet, l’impression qui l’assaille qu’elle fait aussi ressurgir bien des choses personnelles, l’appréhension de ne jamais retrouver les gens et celle encore plus grande qu’ils lui claquent la porte au nez.
Mais si cela avait été le cas, la bande-son d’Alex Beaupain - qui retrouve là sa veine des Chansons d'amour - ne serait pas là pour parfaire le projet. Dans le disque qui accompagne l’ouvrage, Camelia Jordana, Clotilde Hesme et Françoise Fabian interprètent des textes qui sont autant de rêveries des "Laurence", "Michelle" et "Simone" fictionnelles ; mais surtout, la "vraie" Laurence, ses enfants et ses parents ont accepté de reprendre d’une voix souvent forte et fêlée à la fois, des standards qui leur tiennent à cœur. S’il-vous-plaît, lecteurs, n’écoutez pas le CD avant d’avoir lu le livre… Ce serait gâcher le triple palier d’émotion que constitue ce joli objet travaillant à confronter trois genres artistiques à travers la question de la mémoire et de nos mémoires.