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Ezechiel Zerah : "Marseille, c'est une ville de paradoxes au pluriel"

A l'occasion de la sortie de son livre de cuisine Marseille, Un jour sans faim aux éditions Hachette Cuisine, nous avons reçu l'auteur Ezéchiel Zerah.  En 400 pages, cet ouvrage explore Marseille à travers 25 heures d'une journée fictive, du café croissant de l'aube aux cornes de gazelle nocturnes. Ezéchiel, journaliste gastronomique et "raconteur d'histoires comestibles", s'est entouré d'une joyeuse tribu d'experts pour capter l'essence de Marseille.

Hachette.fr : Salut, c'est Laëtitia et Shannon des éditions Hachette, et vous écoutez "L'Intention", le podcast où les écrivains révèlent ce qui est au cœur de leur dernier livre et ce qui a guidé son écriture.

Aujourd'hui, nous recevons Ézéchiel Zerah, et à travers lui, la joyeuse tribu de plumes gastronomiques qui l'entoure. Avec cette tribu composée de journalistes, d'historiens, d'illustrateurs, d'une photographe et d'une chef, Ézéchiel a concocté un livre XXL : la toute première Bible culinaire en 400 pages de la ville de Marseille.

Entre 4h00 du matin et 25h00 de l'après-midi, depuis le café croissant jusqu'aux cornes de gazelle, en passant par la bouillabaisse, l'aïoli, la soupe au pistou et le couscous, ce livre géant fait le tour du cadran et permet de goûter Marseille à travers la pointe de la fourchette d'Ézéchiel Zerah, qui se dit lui-même raconteur d'histoires comestibles.

Ezechiel Zerah : De raconteur d'histoires comestibles ? En fait, j'aime que les gens me parlent et j'aime partager ce qu'ils me racontent, que ce soit des gens qui sont à Téhéran et qui me racontent ce qu'est la cuisine iranienne moderne, ou que ce soit dans un petit village en France. Voilà, j'aime recueillir la parole, découvrir des choses et les restituer. Vraiment, je ne sais pas garder les choses pour moi, en tout cas journalistiquement, j'aime bien tout raconter, tout dire, y compris les coulisses, et c'est pour ça que j'aime bien faire aussi parfois des papiers à la première personne. Pas pour me mettre en scène, mais vraiment pour raconter au plus près ce que j'ai vu, ce que j'ai entendu, ce que j'ai goûté.

Moi, je suis né, j'ai grandi à Marseille, je suis parti à 18 ans pour voir autre chose, pour voir Paris. Et donc, j'ai passé 13 ans à Paris, qui est une formidable ville pour un journaliste gastronomique, un terrain de jeu exceptionnel. Mais j'étais très frustré, quel que soit le média pour lequel j'ai travaillé, de quasiment jamais écrire en fait sur ma ville et je voyais qu'après le COVID, il y a beaucoup de gens qui parlaient de Marseille. Pas les parisien, mais globalement il y a plein de noms marseillais qui venaient à Marseille. Et je me suis dit en fait, je ne peux pas ne pas parler de ma ville dans mon métier, il faut que je la raconte. Et puisque je ne l'avais quasiment pas fait, je me suis dit que j'allais m'y mettre à fond. D'où ces 2 ans de travail pour croquer dans la ville. Quand j'étais à Paris, j'avais besoin de revenir sans arrêt à Marseille pour choper ma dose et repartir. Donc voilà, il fallait que je le raconte longuement.

Il n’y avait pas forcément de livre là-dessus, de livres un peu étendus où on parle de plein de choses, parce que c'est ça aussi le livre, on parle de cuisine, mais c'est un prétexte pour parler aussi d'architecture, de politique, de littérature. Donc il y avait ce manque-là et ce n’était pas un moment, c'était plus un sentiment de se dire qu’il n’y avait pas ce type de projet, mêlé à la frustration d'avoir quasiment jamais écrit sur Marseille, plus que de moments particuliers. C'était plus quelque chose de diffus. Plus qu'un moment crucial.

Première intention : déambuler 25 heures dans Marseille.

Ezechiel Zerah : Ce livre, on l'a pensé en 25 heures, il faut rendre à César ce qui est à César, c'est Catherine Talec, la directrice d’Hachette Pratique, qui a pensé à ces 25 heures. On l’a pensé comme ça pour plusieurs raisons. D'abord, c'était un fil qu'on trouvait assez rigolo de se balader dans Marseille comme ça, sans s'arrêter jamais. Après, la chose plus pratique, c'est qu'en fait il existait déjà des gros livres comme ça sur des territoires ou sur des produits, des livres assez chouettes, que ce soit en français ou en anglais. Mais il y avait trop de choses en fait. C'est-à-dire qu’à moins d'aller dans l'index, et personne ne va dans les index ou presque, on ne s’y retrouvait pas. Et donc, en faisant un guide par heure, ça permet de structurer le propos et de réellement, si on veut trouver un café à Marseille, on va à la page 7 heures ou 9 heures. Idem pour les boulangeries. Je pense qu'il y a 95 % de vrai dans le sens où personne ne va aller à 3 heures du matin faire ce qu'on a dit. Mais même si c'est une encyclopédie, ça reste aussi un guide.

Pour écrire ce livre, j'ai fait appel à pas mal de gens, de copains, de gens que je ne connaissais pas encore pour plusieurs raisons. D'abord, c'est mon premier livre, c'est un gros projet et je ne pouvais pas le faire tout seul. Je ne pouvais pas le faire tout seul et je ne voulais pas le faire tout seul parce qu'il y avait des gens qui avaient une expertise particulière. Je pense par exemple à Alicia Doray qui est en charge de la rubrique vin du Figaro et qui habite à Marseille.Je pense à des gens qui étaient installés là depuis très longtemps, comme le critique gastronomique du journal La Provence par exemple. Et puis voilà, des gens avec qui j'ai envie de travailler. Il y a beaucoup d'illustrateurs avec qui j'ai la chance de travailler au quotidien dans le cadre de la lettre d'information que j'ai lancée, Pomelo, et j'avais envie qu'on retrouve cette patte-là d'illustrateur. Il y a plusieurs photographes, et je voulais que ça soit un peu bordélique, comme le livre, que ça foisonne. Et ça passait aussi par le nombre de personnes dans l'équipe.

Le goût de Marseille, c'est un goût que je décrirais comme assez prononcé. À Marseille, on aime les choses très intenses où il y a de l'excès, c'est le cas avec des plats traditionnels, donc la bouillabaisse, voilà qui est une soupe de poisson de roche, on sent presque le caillou en fait de mer quand on mange la soupe, beaucoup d'ail, il y a du safran, enfin c’est très riche, c'est très fort et ça vaut aussi pour les plats et les jeunes talents les plus récents. Il y a par exemple un chef qui en ce moment fait Top Chef, Valentin Raffali, et lui par exemple, il assume dans son restaurant, alors qu’il n’a même pas 30 ans, de faire une cuisine « trop ». C'est à dire il dépasse la ligne, oui, c'est trop sucré, c'est trop salé, c'est trop amer, c'est trop acide. Mais ils jouent avec le client comme ça en fait. Et je pense que ce n’est pas anodin s’il est à Marseille parce qu'on aime quand ça tape en fait, y compris dans l'assiette.

Deuxième intention : montrer une Marseille engagée.

Ezechiel Zerah : Alors Marseille, c'est une ville qui a toujours été une terre d'accueil. Ce n’est pas pour rien qu'il y a effectivement beaucoup de cuisiniers, alors de réfugiés, mais beaucoup du coup de réfugiés qui vont naturellement en cuisine parce que ça permet aussi de garder un lien avec leur pays d'origine. Et c'est vrai qu'il y a beaucoup de chefs réfugiés d'ailleurs, c'est pour ça qu'on fait 2 pages dans le livre là-dessus ; qui viennent de plein d'horizons différents. Et les gens dont on parle, ils sont soit chefs de leur restaurant, soit patrons aussi et ça permet de découvrir plein de choses. J'associe aussi à ça les tables solidaires parce que souvent ils travaillent également dans les tables solidaires qui est une vraie, je ne sais pas si on peut dire spécialité marseillaise, mais je pense qu’en nombre d’habitant il y en a beaucoup, des tables solidaires dans les quartiers centraux comme les quartiers nord avec plus d'espace. On dit souvent que Marseille c'est un « melting pot », c'est vrai, il y a des restaurants formidables syriens par exemple. Il y a un restaurant à côté de la gare qui s'appelle Le Levant, c'est rare de bien manger à côté de la gare, mais là c'est le cas, avec des plats familiaux qu’on ne trouve pas dans d'autres restaurants. C'est une ville qui a l'habitude d'accueillir des influences étrangères et de les absorber, de les restituer assez bien.

Troisième intention : dénicher des adresses insolites et cachées.

Ezechiel Zerah : Le restaurant de prison, en l'occurrence, c'est le restaurant des Baumettes, la prison emblématique de Marseille. Il y a un peu plus d'un an, ils ont décidé de monter un restaurant qui s'appelle Les Beaux Mets pour réinsérer certains détenus, donc ce sont des détenus qui ont plus que quelques mois de détention qui sont sélectionnés. C'est que des hommes, en tout cas pour l'instant, et ils sont appelés dans ce restaurant, qui est très joli, qui est avec des couleurs orangées, qui fait une cuisine de bistrot moderne et toutes les personnes en salle et en cuisine, à l'exception des 2 responsables, la cheff de cuisine et le responsable de salle, sont des détenus. C'est souvent leur première expérience en restauration et du coup on est allé là-bas, on a aussi pris des photos, ce qui était parfois étrange parce que ce n'est pas facile, on n'est jamais à l'aise en fait avec les détenus, on ne sait pas trop comment se comporter. En plus, on vient en tant que client, photographe, auteur, etc. pour un projet éditorial, mais c'est une super expérience.

Là-bas, il y a plein de règles à respecter, c'est-à-dire qu'en tant que client on n’a pas le droit d'amener son téléphone portable, on n'a pas le droit de payer en espèces, on n'a pas le droit d'amener des enfants, pas d'alcool donc ils ont des cocktails sans alcool sur place qui sont très bons. Et donc voilà, c'est une première en France. Il y avait une expérience comme ça qui existait, mais ce n’était pas réservée à tous les clients. Je pense qu'il faut le faire, c'est assez intéressant. En plus, on apprend beaucoup de choses sur la prison parce qu'on passe par un sas où on a des textes de Badinter, où on apprend que c’était à Marseille, aux Baumettes, qu’il y avait les derniers condamnés à mort, etc. Donc je pense que c'est voilà, c'est une expérience à faire. Et en plus d'autant plus à faire qu'on a très peu d'informations sur le restaurant parce qu’il n’y a pas de photos Instagram, on ne peut pas prendre de photos.
Donc voilà j'ai envie que les gens y aillent. C'est une trentaine d'euros le midi, il faut juste réserver au moins 4 jours avant, le temps qu'ils vérifient le casier judiciaire.

Marseille, c'est une ville de paradoxes au pluriel. On peut dire qu’on croit que les Marseillais adorent le poisson. Effectivement, on aime le poisson et on en mange beaucoup, mais on est aussi des gros viandards. On croit qu’on carbure à l'huile d'olive, ce qui n’est pas faux, mais on adore la crème. D'ailleurs, il y a une adresse à Marseille qui est une fromagerie, mais qui vend surtout de la chantilly à la vanille ou à d'autres saveurs. Il y a des files d'attente le dimanche. Et on patiente pour acheter sa chantilly et ses fraises en saison ou ses choux pâtissiers.

Mais pour revenir au dîner, et justement avec ces paradoxes, j'irai dans un quartier très touristique, pas très loin du Vieux-Port, avec tous ces bars. Et il y a un restaurant qui est vraiment planté là, on a l'impression que c'est un truc hyper touristique, alors qu'en fait c'est fréquenté que par les Marseillais. C'est un restaurant italien qui s'appelle Il Canaletto, avec une dame qui est là depuis presque 40 ans et où l'on mange des plats familiaux italiens pour 12/13€ pas plus. C'est microscopique et en fait je suis passé devant des centaines de fois, je me suis arrêté et en fait on a parlé de ce truc et je suis rentré. Et Marseille c'est comme ça. Il y a vraiment ce bouche à oreille qui marche encore à fond et on peut passer à côté de plein d’adresses.

Et une autre adresse que je peux citer qui existe depuis pas longtemps, c'est dans Le Panier, le plus vieux quartier de Marseille, voire de France, avec ses ruelles pavées qui étaient connues pour ses crimes à l'époque avec des communautés corses, italiennes, et maintenant qui est un quartier très sûr et très festif. En face du commissariat de police, il y a un vieux bar de quartier avec des clients qui sont au Pastis depuis le matin et qui rigolent. Et derrière ce vieux rade, il y a une trattorie qui s'appelle la Trattoria Partenope et c'est un jeune Napolitain, Andrea, qui parle un tout petit peu français et qui fait des pizzas de l'espace, à la napolitaine dans les règles de l'art, au feu de bois. Il y a un truc comme ça, tout le monde parle italien, y compris la serveuse qui est normande, tout un truc bizarre comme ça, mais ça marche, c'est pas cher du tout et voilà, c'est une vraie expérience. Le midi, il n'y a que des flics dans le resto d'ailleurs, c'est une ancienne salle de boxe et aux murs il y a plein de vieux articles de journaux, mais très vieux articles sur des faits divers, voilà, c'est ça Marseille, Marseille que j'aime.

On peut rester chez Partenope après le dîner parce que ça fait aussi bar, on peut aussi aller dans tous ces nouveaux bars à cocktails dont on parle. Il y en a un que j'aime beaucoup qui s'appelle le Gyptis, monté par un jeune Marseillais. Ce que j'aime bien chez lui, c'est qu'il y a la carte, il y a le hors-carte. Donc en fait, il te demande en quelques mots : qu'est-ce que tu aimes ? Qu'est-ce que tu n’aimes pas ? Comment te sens-tu aujourd'hui ? Et hop, il fait un cocktail et souvent ça ne marche pas dans d'autres lieux. Là pour le coup, il fait du vrai sur mesure avec des prix très corrects. C'est un tout petit truc, on dirait même un bar de quartier alors que c'est un vrai bar à cocktail moderne, donc je conseille d'aller là-bas après le dîner.

C'est l'heure des cadeaux.

Ezechiel Zerah : Si je devais offrir une phrase par rapport au livre et par rapport à Marseille, c'est marrant parce que les gens ont retenu cette phrase que je mets dans l'intro. C'est un chef de cuisine qui était candidat à Top Chef et pendant une interview, il a dit « Tu sais, Marseille c'est comme la coriandre, on l'aime ou on la déteste », et je trouve que c'est tellement vrai. Il y a vraiment ce truc-là, il y a plein de gens qui n'aiment pas Marseille, qui s'arrêtent à la gare et qui la voient à peine. C'est une ville où il faut creuser, en fait, on peut l'aimer et on va l'aimer si on creuse parce qu'elle ne s’offre pas comme ça aux gens comme d'autres villes. Donc voilà. C'est cette phrase-là.

Finissons en musique.

Si je devais associer une musique à Marseille en général et au livre en particulier. Ça va faire peut-être faire très cliché, et en plus je n’étais pas forcément fan du bonhomme, mais c'est JUL. Dans le livre, je dis que Marseille, en termes de senteur, ça sent le pain, ça sent le sucre, le miel ça se mélange. Bon, je dis aussi que ça sent la pisse. Y a tout un mélange comme ça et en termes de musique, ouais, y a vraiment ce truc de JUL comme ça qui est un haut-parleur à ciel ouvert. Une chanson qui s'appelle le Sousou.
Il y en a plein, mais peut-être celle-là en particulier. Pourtant je suis pas forcément fan des paroles. Y a un truc comme ça, y a une rythmique, il a une voix particulière et c'est comme s’il fusionnait avec la ville et ça marche.  

"J'voulais pas boire, ça m'a emboucané, les flashs de vovo, ça m'avait scanné
Au final, j'ai bu, j'ai fumé, plané, j'écris, j'écris, j'passe vers la Cane'
J't'ai vue, tu étais belle et mignonne, pas attirée par l'million"

C'était L'Intention, le Podcast des éditions Hachette ou les écrivains de fiction, de non-fiction, de BD et de Jeunesse révèle l'intention cruciale au cœur de leur dernier livre.

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Concept éditorial : Hachette Digital, en collaboration avec Lauren Malka    
Voix et interview  : Laetitia Joubert et Shannon Humbert     
Ecriture : Lauren Malka    
Montage, musique originale : Maképrod    
Conception graphique : Lola Taunay    
Photo : © Mickaël A. Bandassak
Extrait musical : "Sousou » de Jul, album « La Machine », D'or et de platine, 2020