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Cinq choses que vous ne saviez peut-être pas sur le thé

Caroline Larroche publie aux éditions Hazan un ouvrage magnifiquement conçu et richement illustré, intitulé Le Thé dans les estampes japonaises. Au fil des pages, l'historienne de l'art juxtapose texte et estampes pour dresser un panorama complet de cette boisson délicate prisée de tous les Japonais, symbole d'harmonie et de sérénité.

Voici cinq infos tirées du livre et que vous ne saviez peut-être pas sur le thé.

1. Le thé aurait été découvert par un dieu chinois en 2800 avant J.-C.

"En Asie, un personnage mythique et une légende président à l'origine de toute chose. La découverte du thé serait ainsi due à Shen Nong, un dieu souverain qui aurait régné en Chine aux environs de 2 800 avant notre ère. Surnommé le « Divin Laboureur », il aurait inventé l'agriculture et, goûtant tout ce que la nature prodiguait, découvert les vertus médicinales des plantes. Un jour, il aurait mâché une herbe inconnue qui lui aurait alourdi la tête. Alors qu'il s'asseyait contre un arbre pour reprendre ses esprits, des feuilles de théier tombèrent à ses pieds ; il les goûta et non seulement leur trouva une saveur parfumée, mais son esprit redevint clair. Une variante raconte que le Divin Laboureur avait décrété qu'il était préférable, pour des raisons de santé, de faire bouillir l'eau avant de la boire, et qu'un jour des feuilles de théier tombèrent fortuitement dans sa bouilloire : ce brevauge l'ayant revigoré, il annonça à ses sujets que cette boisson soulageait la fatigue, donnait de la force au corps et à l'esprit, renforçait la volonté et guérissait de quelque cent maladies." (p. 13)

2. Au Japon, le thé est une philosophie de vie fondée sur la simplicité

"D'une part, Rikyū développe une dimension philosophique, appelée « voie du thé » (chadō), selon laquelle le rafffinement suprême découle de la sobriété extrême ; d'autre part, il y applique la notion zen du wabi, laquelle célèbre la beauté dans la simplicité, voire dans l'imperfection. Attaché au choix de matériaux naturels, il demande au potier Chōjirō de produire des bols à thé qui ne détournent pas l'attention par leur style : celui-ci cuit des modèles sans décor, d'abord exclusivement rouges ou noirs afin de mettre en valeur la poudre de thé vert. Enfin Rikyū introduit la notion de « une fois, une rencontre » (ichi-go ichi-e) : chaque rencontre entre l'hôte et ses invités doit être vécue comme un instant unique d'harmonie qui ne se reproduira pas. Pour parvenir à cette harmonie (wa), le service de thé doit reposer sur le respect (kei), la pureté (sei) et la sérénité (jaku). Ces quatre principes président à la fois à la « voie du thé » et au rituel en tant que tel, pour lequel Rikyū édicte enfin sept règles, somme toute très simples : « Prépare un délicieux bol de thé ; dépose le charbon de bois pour qu'il puisse chauffer l'eau ; arrange les fleurs comme elles sont dans les champs ; évoque la fraîcheur en été, la chaleur en été ; devance en chaque chose le temps ; prépare-toi à la pluie même s'il ne pleut pas ; porte la plus grande attention à chacun de tes invités. » Des règles qui lient les choses, les gestes et les êtres, et invitent en toute simplicité à partager un bol de thé en vivant pleinement l'instant présent." (p. 56)

3. Dès le XVIIe siècle, tous les Japonais boivent du thé, quel que soit leur rang social

"Grâce à une politique de défrichement et d'irrigation des terres menée au cours du XVIIe siècle, les surfaces cultivées en céréales et en légumes sont doublées, atteignant quelque trois millions d'hectares au siècle suivant. Du fait de la restriction des importations, sont également encouragées la production des « trois herbes » - le safran des teinturiers, l'indigotier et le chanvre - et celles des « quatre arbres » : le mûrier pour la soie, le mûrier à papier, le laquier (pour les travaux des objets en laque)... et le théier ! Ce soutien à la culture du thé accompagne un engouement certain pour la boisson : « Quel que soit le rang social, tout le monde boit du thé », peut-on lire dans les Recommandations de paysans (1681-1683), tandis que le Miroir de la nourriture de notre pays (1697) relate : « Récemment parmi les mœurs [de la ville] d'Edo, on boit du thé, que l'on prend avant son petit-déjeuner, c'est ce qu'on appelle le thé du matin. Ce sont les femmes qui l'apprécient le plus. » Dans les villes comme dans les campagnes, on consomme surtout des thés communs, appelés bancha : simplement séchés au soleil, ils donnent une boisson de couleur plus brune que verte, préparée dans une bouilloire qu'on laisse sur le foyer et dans laquelle on ajoute au fil de la journée de l'eau sur les mêmes feuilles." (p. 79-82)

4. Les maisons de thé ont inspiré les maîtres de l'estampe

"Ce nouvel art de vivre d'une clientèle aisée est à l'origine du plein essor des estampes ukiyo-e, ou « images du monde flottant » - l'ukiyo désignant le fait de vivre l'instant présent, fondé sur la notion bouddhiste de l'impermanence des choses. Ces estampes, dessinées par des peintres, sont ensuite gravées sur bois puis tirées sur papier à plusieurs centaines d'exemplaires et enfin vendues bon marché par les éditeurs qui les financent. Au fil des mises au point techniques pour les produire en plusieurs couleurs, de nombreux artistes se spécialisent, au XVIIIe siècle, dans ce type d'images, puisant leurs sujets dans la vie hédoniste de leurs contemporains, qu'ils se divertissent dans le quartier même des plaisirs ou dans les maisons de thé des environs d'Edo situées au bord de l'eau." (p. 141)

5. Les estampes japonaises ont immortalisé les hôtesses de maisons de thé

"Tels des photographes avant l'heure, les peintres vont ainsi saisir à l'envi nombre de scènes où de jolies et jeunes hôtesses servent le thé, tout en délicatesse et raffinement. Certaines sont si réputées pour leur beauté (bijin) qu'elles font l'objet de planches dites bijin-ga, « images de belles femmes ». Dans les années 1765-1770, la gracieuse Osen devient pour ainsi dire la muse du peintre Suzuki Harunobu (v. 1725-1770), l'initiateur des « estampes de brocart » (nishiki-e), imprimées en sept ou huit couleurs. Osen est serveuse dans la maison de thé de Kagiya, son père. Situé au nord-est d'Edo, en face du portique (tori) marquant l'entrée du sanctuaire shintō Kasamori, cet établissement est très fréquenté, non seulement par les pèlerins mais aussi pour une activité récréative consistant à lancer des objets par-dessus la falaise pour en observer la trajectoire et conjurer la malchance ! La jeune Osen est identifiable à l'emblème familial - des feuilles de paulownia - qui orne discrètement ses kimonos : on la voit servir un bol de thé à un jeune samouraï, reconnaissable aux épées qu'il porte à sa taille, verser de l'eau dans un chaudron à thé ou encore repousser les avances d'un client un peu trop entreprenant." (p. 145-146)

Shannon Humbert.