Hélène Gestern en un clin d’œil
Enseignante et chercheuse, Hélène Gestern est l’autrice de six romans, d’essais et de textes autobiographiques. En 2022, son roman 555, publié chez Arléa, a reçu le Grand prix RTL-Lire et le Prix Relay des Voyageurs Lecteurs. Avec Cézembre sorti en mai chez Grasset, elle signe une grande saga familiale, sur plusieurs générations, qui se situe en Bretagne, sur la côte malouine. Cézembre, île mystérieuse et inhabitée située au large de Saint-Malo donne son titre au roman.
Pourquoi on aime Cézembre ?
Le titre du roman, Cézembre, est une île aujourd’hui inhabitée, située au large de Saint-Malo. Tour à tour monastère, fort militaire, colonie pénitentiaire, elle est occupée par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour la libération, plus de 20 000 bombes y sont lancées, ce qui fait d’elle l’endroit le plus touché d’Europe et un territoire impraticable pendant des décennies.
Cézembre exerce une fascination mystérieuse et captivante sur le narrateur, Yann de Kérambrun, historien d’origine bretonne (comme son nom l’indique) retourné vivre sur ses terres natales après son divorce et la disparition de son frère jumeau et de son père. La famille de Kérambrun est détentrice d’une compagnie maritime, Kérambrun et fils, qui a fait la fortune de l’arrière-grand-père Octave.
Historien de profession, Yann, qui avait fermement refusé de reprendre l’entreprise familiale et avait ainsi fortement abimé les liens familiaux, se retrouve à enquêter sur ses origines à un moment charnière de sa vie. Grâce à des carnets de bord d’Octave et d’autres archives qu’il va chercher, Yann soulève les secrets de famille et renoue peu à peu avec ses racines, mais aussi avec son désir et ses sentiments. Dans Cézembre, à travers la généalogie d’une grande famille bretonne, les petites histoires sont intriquées dans la Grande Histoire. Par un habile jeu entre les narrations de différentes époques et différents points de vue, l’histoire familiale, en même temps que l’histoire sombre de cette île mystérieuse, se reconstituent peu à peu, l’énigme sous forme de puzzles s’éclaire, la vérité nue et parfois crue fait surface.
Dans Cézembre, c’est aussi toute la beauté et le caractère sauvage de la Bretagne qui se révèlent et se font ressentir tout au long du récit.
Les pages à corner
« Engoncé dans ma combinaison, je m’enfonce mètre après mètre. Les couleurs, un mélange de blanc très pur, de turquoise et de bleu, sont d’une beauté extraordinaire. Bien que je sois conscient d’aller tout droit vers le danger, je n’ai pas peur. Des bancs de poissons argentés et bleuâtres, dont les écailles scintillent au gré de leurs ondulations, nagent en rond autour de moi. Mais, peu à peu, de longues lanières brunes les remplacent et masquent la lumière. Les eaux dans lesquelles je continue à descendre virent au bleu sale, puis au gris foncé ; les algues s’enroulent comme des pieuvres autour du hublot du scaphandre. La mer a pris la consistance d’une soupe visqueuse. Soudain, sans que rien se soit passé, je sais que le câble qui me relie à la surface vient d’être coupé. L’eau envahit mon hublot. Bien que je respire sans effort en dépit du liquide boueux qui m’entre dans la bouche, j’ai la certitude que je vais mourir. Je me réveille avec l’impression d’étouffer. Depuis longtemps, j’ai appris à interrompre ce rêve. Peut-être a- t-il été provoqué par la marée, qui tape fort ce soir contre la digue ; peut- être par les deux verres de vin blanc que j’ai bus pour accompagner mon dîner. Je rallume. J’ai beau être en sécurité dans mon lit, j’ai l’impression que les algues brunes du rêve collent encore à ma peau. Inutile de songer à me rendormir. Je pioche dans la pile de livres alignés au pied de mon lit. Une vie, de Maupassant. L’odeur confinée du vieux papier s’exhale des pages piquetées de rouille. Je hume l’effluve – chaque livre ancien possède le sien : ici le cuir, la craie et la fougère. Dans certaines marges, des marques légères au crayon, et sur la page de garde, un sceau sec aux initiales « JK ». C’est bien Julia, la lectrice boulimique, qui annotait ses livres. J’entame ma lecture : l’histoire d’une jeune fille qui ne sort du couvent que pour se marier, et qui très vite doit affronter les infidélités de son mari, au prix de terribles souffrances et de cruelles déceptions. Un feuillet s’échappe au détour d’une page. Il est si fin qu’il manque de se casser entre mes doigts quand je le déplie. « Un ciel bas et gris semblait peser sur le monde ; ses flots tristes et jaunâtres s’étendaient à perte de vue. Elle resta longtemps sur la falaise, roulant en sa tête des pensées torturantes. » La phrase est recopiée du livre. Pas gaie. Je reconnais l’écriture enfantine, aux hampes fleuries, que j’ai rencontrée dans le dossier de la correspondance conjugale d’Octave. Je feuillette le reste du volume, en quête d’autres papiers. Il n’y en a pas. Excepté un rectangle grisâtre, de la taille d’une demi-carte à jouer, resté collé au plat de carton fauve. On discerne encore la trace des plis qui ont dû réduire ce billet à une taille minuscule. Il disait simplement : « Demain, 16 h. » Seul un familier ou un intime pouvait se permettre d’être aussi laconique. Était-ce l’horaire d’une consultation au Home Sobieski ? Un mot de sa sœur pour un goûter ou une matinée théâtrale ? À moins qu’il ne s’agît de tout autre chose, un « poulet », comme on appelait alors ces messages galants, pour fixer un rendez-vous à une femme qui aimait les romans tristes et sentimentaux ? Une seule chose était certaine : l’écriture n’était pas celle de Julia, ni celle d’Octave. En route pour la librairie, le lendemain matin, je pensais toujours à ce bout de papier aujourd’hui privé de sens, mais qui sur le moment avait dû en avoir beaucoup pour sa destinataire ; assez, en tout cas, pour qu’elle le conserve dans un de ses livres préférés. Pendant que je marchais le long de la digue, Cézembre s’étirait au soleil, mouchetée par la lumière qui transperçait les nuages. L’île n’était au reste pas étrangère à ma promenade puisque j’allais récupérer le livre et la BD qui parlaient d’elle. » p.190-192
Dans la presse
Rencontre «Cézembre» : Hélène Gestern, l’île en elle
Rencontre à Nancy, chez elle, avec l’écrivaine autour de «Cézembre», un septième roman maritime, impliquant deux familles, des secrets et des embruns, situé du côté de Saint-Malo et de Jersey.
Thomas Stélandre - Libération
Hélène Gestern : une île, un squelette et une histoire
Dans « Cézembre », son roman, et sur Cézembre, au large de Saint-Malo, l’écrivaine française confie à un historien une passionnante enquête.
Pierre Maury - Le Soir
"Cézembre" de Hélène Gestern : un roman passionnant
Yann de Kerambrun, professeur d’histoire à la Sorbonne, divorcé, son fils parti en Allemagne, va trouver quelques années après le décès de son père les archives de son arrière-grand-père Octave qui avait créé avec deux associés la société maritime qui permettait de relier Saint Malo aux îles anglo-normandes. Il était aussi passionné de moteurs et a créé la société Kerambrun et fils. C’est là le litige entre Yann et son père qui aurait voulu qu’après la mort de son frère il reprenne la direction de l’entreprise. Alors qu’il devrait préparer un livre sur la piraterie au temps des Romains, il va se prendre de passion pour l’histoire de ses aïeux. Il travaillera d’abord en historien, interrogeant les survivants puis en policier après la disparition des deux associés d’Octave dont le député Saint Croix. Pendant ses recherches, Yann habite la maison construite par Octave sur le Sillon à Saint Malo face à Cézembre. C’est là qu’il va rencontrer Rebecca.
Martine Monsallier - Atlantico
Avec « Cézembre », Hélène Gestern fait vivre l’esprit malouin
Hélène Gestern a choisi pour héroïne Cézembre, une île chargée d’histoire dans la baie de Saint-Malo. Dans un roman à la Brontë, fouetté par les vents et les embruns.
Yves Viollier - La vie
« Cézembre » d’Hélène Gestern : la légende noire d’une petite île au large de Saint-Malo
L’autrice reste fidèle à sa manière de restituer la petite et la grande histoire à partir d’un document. Ici, son récit biographique tourne au roman à énigme, s’articulant autour d’un territoire demeuré longtemps zone interdite à cause des bombardements de la Seconde Guerre.
Claire Julliard – Le Nouvel Obs
Lucile Charlemagne