Je voudrais faire une chronique sur un roman classique que j'affectionne particulièrement. Il est vrai que John Steinbeck est mon auteur préféré de même que son compatriote William Faulkner (lui, ce sera pour la prochaine fois). "A l'est d'eden" est en soi un titre hautement symbolique: c'est le lieu où Caïn se retire lorsque Dieu s'est détourné de lui après le meurtre d'Abel. Par ce titre, l'auteur inscrit son roman dans la lignée des maudits. Tout comme "Les raisins de la colère", Steinbeck donne ici une superbe fresque de l'aventure humaine. L'influence ici n'est plus l'Exode mais un autre passage important de la Bible: la Genèse, le meurtre d'Abel, l'introduction de l'agriculture et de la mort violente. Le roman, selon mon avis, analyse plusieurs situations humaines: le don de l'amour et son refus, la dimension théologique et philosophique de la faute, du péché et de la liberté humaine et enfin Lee et Caleb qui à mon avis sont les figures médianes de la condition humaine. Premier thème: le don de l'amour et son refus s'étendent sur deux générations et vont causer des ravages irréversibles. Il y a d'abord le drame fraternel entre Adam et Charles. La dispute des frères a pour objet, le père, Cyrus. On assiste à une situation semblable à celle rencontrée dans le théâtre racinien: A aime B qui aime C. Charles aime Cyrus qui aime Adam qui ne l'aime pas. Adam refuse ce père au sens freudien du terme. En effet, il le voit comme un vampire, un ogre épuisant successivement ses deux femmes. Adam n'est pas impressionné par cet homme et devenu homme, il renverse cette idole de son piédestal. Charles quant à lui est incapable de se soustraire du poids du père qui l'accable et qui l'aliène. Il chérit Cyrus et attend la reconnaissance de ce dernier qui ne vient pas. Le refus du don entraîne le déchaînement de la violence de Charles. Il la tourne vers l'objet aimé: Adam. La répétition de ce schéma se poursuit avec les enfants d'Adam: Aaron et Caleb. Cette fois, Aaron meurt. La mort de ce dernier selon moi est aussi due à son orgueil et à la tentation de la pureté tyrannique car il refuse d'endosser la vérité sur l'identité de sa mère. Aaron, nom biblique désignant le frère de Moïse est un prêtre. Aaron symbolise pour l'auteur toujours selon moi une inadéquation à la vie faite de compromis moraux l'acceptation de la mère comme réalité et de ce qu'elle est). Deuxième dimension: la dimension théologique et philosophique de la faute, du péché et de la liberté humaine. En provoquant la mort d'Aaron, Caleb cherche le pardon du père. Il est en quête de la Rédemption et du Salut. Seule la parole du père a le pouvoir de la relever et de l'alléger du poids de la culpabilité. L'auteur introduit cette partie au milieu de son roman. Selon moi, c'est une partie primordiale de son intrigue. Je pense que c'est une façon pour lui de proposer une réponse à ses lecteurs. Il va interpréter un mot hautement important de la Bible: Timshel. Le mot hébreux "timshel" veut dire "tu peux", laisse le choix à Caïn de commettre ou non l'acte. Dans la Bible ce mot est la réponse de Dieu à Caïn affligé par le refus de son sacrifice. Il signifie que la route est ouverte. La responsabilité incombe à l'homme. Caleb a donc le choix. Le mot de fin n'est autre que "timshel", libérant ainsi Caleb de la malédiction. L'auteur est résolument moderne dans le sens où il combat la version biblique du King James très usitée aux Etats Unis. Car cette version est implacable. Elle ne permettent pas à l'homme de s'affranchir de sa faute en faisant appel à son libre arbitre. Celui qui apaise Caleb et lui montre l'issue est Lee, figure du médiateur, du père de substitution. C'est une figure humaine conciliante, pacifique et empreinte de sagesse. Lee, à cause de son histoire, est à la croisée des chemins et des cultures. Il appréhende selon l'auteur une vision neuve du monde et non celle des Pilgrim's Fathers qui croient que le Salut passe par la Grâce qui est donnée arbitrairement aux élus. Je crois que Steinbeck, comme avant lui Hogg combat le déterminisme théologique de la condition humaine. Mais ceci n'est qu'un avis. Le nombre de 7000 mots ne me permet pas de développer amplement les choses. Ce qui peut faire penser à une réflexion lapidaire du roman. Vos questions et remarques sont les bienvenues. Bonne lecture à tous.