Séduite par "L'écrivain de la famille", émue par "La liste de mes envies", et conquise, il faut bien l'avouer, par Grégoire Delacourt, rencontré en librairie et écouté dans certaines émissions avec beaucoup de plaisir, j'avais vraiment, vraiment envie d'aimer ce nouvel opus, dont la réflexion sur la dictature des apparences me semblait particulièrement intéressante en notre époque de règne de l'image.
Ma déception a été à la hauteur de mes attentes... J'avais envie de ressentir la même chose qu'Arthur Dreyfuss, que "les mots, emperlés d'une certaine manière, (soient) capables de modifier la perception du monde"... Mais la lecture de "La première chose qu'on regarde" ne m'a pas fait ce cadeau.
Le point de départ de l'intrigue est plutôt original. Arthur Dreyfuss est garagiste dans une petite ville de province, Long. Il a eu une enfance douloureuse, marquée par le décès de sa petite sœur, la fuite de son père et la folie dépressive de sa mère. Il vit désormais une existence morne et solitaire. Un beau jour de septembre 2010, alors qu'il regarde un épisode des "Soprano", vêtu d'un marcel blanc et d'un caleçon Schtroumpfs - "loin de l'image de Ryan Gosling, en mieux" -, on frappe à la porte. Sur le seuil, Scarlett Johansson. Soi-même. En chair et en beauté. Celle qui vient d'être élue "plus belle femme du monde", objet de tous les fantasmes masculins, prétexte un besoin d'anonymat et de tranquillité pour justifier son apparition. Assez vite, nous est révélé que ladite Scarlett s'appelle en réalité Jeanine Foucamprez et qu'elle est mannequin vedette des tournées Pronuptia... Et tout aussi rapidement, une histoire d'amour naît entre le sosie de Ryan Gosling et celui de Scarlett, avec pour toile de fond une réflexion (assez dilettante et légère) sur la dictature des apparences, la difficulté d'être belle et sosie d'une star de cinéma, la douleur de ne pas pouvoir être aimée pour ce que l'on est profondément...
Les histoires d'amour, chez Grégoire Delacourt, finissent mal, en général, et celle d'Arthur et Jeanine ne fera pas exception à la règle...
Je continue à trouver l'idée de départ attrayante, et l'intention intéressante. J'étais impatiente de voir l'humour de l'auteur, son ironie subtile, sa plume facétieuse, tantôt légère, tantôt sombre, les mettre en scène et en mots. Mais la plume fantasque ici tourne court et se brise sur les innombrables incises et parenthèses totalement superflues, sur la gravité pénible, la facétie lourde, sur les caricatures et les stéréotypes dignes de série B... Le peu que je connais de Grégoire Delacourt me fait soupçonner que tout est dans cet ouvrage à prendre au second degré. Admettons. Mais que devient alors l'observation des comportements humains face à la notoriété, à l'image, à la fascination de la beauté ? Je reste persuadée que l'écrivain est à même de maintenir avec brio ce périlleux équilibre mais force est de constater, à regret, que ce n'est hélas pas le cas ici.
Et quoi qu'il en soit, ma déception sur cet opus ne m'empêche nullement d'attendre le prochain roman de Grégoire Delacourt, en espérant retrouver "l'écrivain de la famille"...
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Deux jours après l'annonce de l'action en justice de Scarlett Johansson contre l'éditeur de "La première chose qu'on regarde", je me vois obligée d'aborder le sujet.
Voici ce qu'on pouvait lire dans "Le Monde" : "Nouveau procès en vue dans l'édition. L'actrice américaine Scarlett Johansson porte plainte contre JC Lattès, qui a publié au printemps La première chose qu'on regarde, de Grégoire Delacourt, important succès de librairie. La star en est l'un des personnages principaux. Elle trouve refuge chez un garagiste de la Somme ; à mi-parcours du livre, on s'apercevra qu'il s'agit seulement d'un sosie. La vraie Scarlett Johansson demande pourtant au tribunal de condamner l'éditeur "à réparer le préjudice causé par la violation et l'exploitation frauduleuse des droits de la personnalité". Elle réclame également que soit interdite à JC Lattès "la cession des droits et d'adaptation de l'ouvrage". Au micro de RTL, qui a révélé l'information, Grégoire Delacourt, très étonné, a déclaré : "Je m'attendais plutôt à ce qu'elle me donne rendez-vous pour un café !"
Si Mademoiselle Johansson avait lu attentivement l'ouvrage en mettant de côté son petit ego apparemment surdimensionné, elle aurait constaté qu'ici, ce n'est pas elle la star de l'histoire, c'est Jeanine, son sosie, ainsi Arthur (Ryan Gosling va-t-il lui aussi porter plainte parce que le jeune garagiste est décrit comme son sosie "en mieux"...?). Et puis, "exploitation frauduleuse des droits à la personnalité", il ne faut rien exagérer. De quoi se plaint-elle ? D'être un personnage public, dont l'image est publique et d'inspirer un auteur français ? Que Grégoire Delacourt rappelle une bonne dizaine de fois qu'elle est reconnue comme "la plus belle femme du monde" ? Qu'il rende hommage à sa beauté et à ses formes féminines, ce qui à mon sens est plus flatteur qu'outrageant ? Ce n'est pas parce qu'on tourne avec Woody Allen, Sofia Coppola ou Robert Redford qu'on est autorisé à pratiquer la censure littéraire. Grégoire Delacourt fait avec son roman une œuvre de fiction, et non une biographie de Mademoiselle Johansson. Ce qu'il dit d'elle ne dévoile rien de son intimité, bien moins que nombre de journaux et magazines tous pays confondus. L'actrice qui dit aimer la France devrait s'enorgueillir d'y être présente non seulement dans les salles obscures mais aussi en librairie.
Grégoire Delacourt a bien raison de prendre cela avec humour. C'est le genre de réaction désolante et pathétique dont il faut rire, vite et fort, de peur d'avoir à en pleurer.
David Foenkinos a quant à lui annoncé sur Twitter son intention d'écrire sur Natalie Portman, juste pour le plaisir qu'elle l'attaque...!!
Ils ont bien raison, nos écrivains, de prendre cela avec toute la dérision que cela mérite. C'est le genre de réaction désolante et pathétique dont il faut rire, vite et fort, de peur d'avoir à en pleurer...