Il arrive qu'un écrivain croise dans la vraie vie un événement qui sorte de l'ordinaire et que lui vienne un récit des plus originaux. La Chair du temps entre d'autant plus dans cette catégorie que Belinda Cannone aime mêler réflexion, fiction et écoute de ses affects. Plusieurs lectures antérieures me l'ont prouvé et donné envie de m'intéresser à son expérience : voilà qu'un cambriolage de sa "maison des champs" la prive de deux malles où sont entreposés journaux intimes, photos personnels, correspondances et carnets de travail... Toute sa mémoire à elle qui n'a pas de mémoire ! Elle perd son histoire que son esprit frappé d'amnésie ne saura reconstituer. C'est un deuil dont elle est à la fois le sujet et l'objet. Encline à mettre des mots sur la vie, habituée à tenir un journal intime (plus d'une trentaine de carnets depuis l'enfance), Belinda Cannone se lance dans l'écriture d'un journal dont bientôt elle ressent qu'il sera publié : le journal "extime" de sa douleur. Entremêlé d'évocations de petits événements autour de l'intrusion (les gendarmes, les voisins, les amis...), d'épisodes de sa vie centrée sur son enseignement universitaire et ses livres, de ses retours à la campagne, le récit au quotidien des trois mois qui suivent son malheur transcrit les méandres de sa pensée confrontée au vide de sa mémoire. Elle s'avoue femme goûtant la sur-activité de son présent, tournée vers l'avenir, peu susceptible de nostalgie ; mais à l'occasion de cet arrachement, elle ressent l'empreinte du temps, l'angoisse du passé vidé de sa chair, la complicité perdue de sa mémoire. Cette réflexion touche à l'universel, particulièrement à une époque qui sacrifie l'histoire à la géographie, la sagesse du passé à l'étourdissement du présent, la culture à la distraction.
Cependant, "as usual", la vie est plus forte que la mort, elle coule dans les veines des vivants, les mots affluent au bout des doigts de la romancière, le désir et l'imagination - "la trouvaille" du poème d'Apollinaire*, reprennent le dessus... Je laisse découvrir la fin au lecteur à qui je conseille de partager cette leçon de philosophie appliquée.
* extrait de "Toujours" de Guillaume Apollinaire : " Perdre / mais perdre vraiment / Pour laisser place à la trouvaille "
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