MyBOOX : Pourquoi avoir choisi de publier un livre sur vos recherches, surtout chez un éditeur généraliste ?
Patrizia Paterlini-Bréchot : Quand la possibilité de détecter le cancer avant l’imagerie a fait l’objet d’une publication pour la première fois, j’ai donné une interview à la télévision et celle qui allait devenir mon éditrice m’a écrit pour me proposer d’écrire un livre. C’était quelques semaines après Noël 2014. J’ai toujours été très prise par le travail et quand j’ai lu ce mail, je me suis dit "mais c’est mon rêve d’écrire un livre, de raconter aux gens, de partager ce travail qui me plaît tellement !" J’ai dit oui immédiatement mais je craignais d’ennuyer les lecteurs avec des faits scientifiques pointus. L’éditrice me disait que ça devait être mon livre, que ça devait venir de moi. Si je racontais l’histoire, comment j’y suis arrivée, comment ça s’est passé, pas uniquement les recherches mais ma vie, peut -être que j'arriverais à partager avec les gens notre travail et nos recherches sans les ennuyer. C’est comme ça que le livre est né.
Vous parlez du cancer de manière très imagée, quasi littéraire… Au-delà du récit de vos recherches, quelle est l’histoire intime et personnelle que vous racontez et qui donne ce texte si sensible ?
Je pense que toutes les histoires dans ce domaine sont des histoires de vie. La mienne raconte comment, jeune médecin, j’espérais beaucoup apporter un avantage aux patients, du moins atténuer la douleur ou améliorer leur sort. Et puis j’ai eu un choc avec ce premier patient que j’appelle "patient zéro" qui est mort en quelques jours et qui m’a complètement perturbée au point que je pensais abandonner la médecine. Mais c’était ça ou me battre. Finalement, j’ai décidé de me battre et l’histoire a commencé là. Les recherches sont venues ensuite naturellement avec l’espoir d’améliorer la vie des patients. Il fallait comprendre comment le cancer se forme pour pouvoir le combattre. A l’époque, cela pouvait paraître désespéré : une femme toute seule, que pouvait-elle contre le cancer ? L’enjeu était tellement énorme… Mais j’étais portée par le rêve. Ça m’a menée à une vie de recherches en biologie moléculaire. C’est pour cela que j'ai quitté l’Italie pour venir en France. Je me suis ensuite mise à étudier comment le cancer tue pour aller plus vite. Les recherches en étaient à leurs débuts, il y avait un grand défi. Je suis partie des méthodes moléculaires qui commençaient à émerger dans ce domaine et j’ai voulu tester leurs limites. Je suis arrivée à la conclusion qu’il fallait développer une méthode encore plus spécifique, plus sensible. C’est ce que je fais aujourd’hui avec mon équipe. Mais ça m’a pris une vie…
Quel est le principe du test ISET que vous avez mis au point ?
Nous recherchons des cellules tumorales rarissimes présentes dans le sang. C’est pour cela que jusqu’à présent les scientifiques n’avaient pas encore pu les détecter. Etant hématologue et oncologue, je sais très bien que les cellules du sang sont les plus petites cellules de l’organisme. Il fallait absolument que je les isole intactes sans les abîmer et sans les perdre et la seule manière était la filtration. Seulement, la cellularité du sang est tellement élevée par rapport à ces cellules rarissimes que c’était considéré comme quasiment impossible. Mais on s’est acharnés… On a combattu avec la tête et avec le cœur pour y arriver.
Le test ISET que nous avons mis au point isole les cellules tumorales et les cellules d’organes qui ne sont pas tumorales et après on pratique une analyse cytopathologique – là je n’ai rien inventé, c’est une méthode validée depuis 150 ans - qui permet d’identifier sans erreur les cellules tumorales. Ce test était très attendu car il a plusieurs usages. D’abord pour les patients chez qui le cancer est déjà diagnostiqué. Dans ce cas, il sert à savoir si le cancer a envahi le sang même si l’imagerie ne montre pas encore de métastases (car même en cas d’opération on risquerait de laisser des cellules tumorales). Par ailleurs, il peut être utile pour détecter précocément les cancers invasifs. Ça c’est une fenêtre ouverte sur le futur, c’était un grand défi de la médecine.
Sera-t-il bientôt répandu et accessible ?
Ça ne dépend pas de nous, même si nous faisons tout ce que nous pouvons puisque notre but est bien sûr que le test soit démocratisé. Mais attention : dans l’utilisation qui pourra contribuer à faire baisser la mortalité via le diagnostic précoce des cancers invasifs, le test n’est pas encore complet. Nous devons terminer le développement pour savoir de quel organe proviennent les cellules cancéreuses. Nous travaillons énormément et nous cherchons à présent les ressources pour y arriver rapidement. Nous espérons que les gens nous aident même avec très peu. C’est le cœur des gens qui nous donne beaucoup de courage.
Comment réagissez-vous au retentissement médiatique de votre livre ?
Après que j'ai été interviewée sur France Inter, le livre a été deuxième des ventes sur Amazon pendant quelques heures. Ça m’a émue aux larmes parce que je me suis dit, "c’est fabuleux, les gens nous aident" ! Tous mes droits d‘auteur sont reversés à nos recherches. C’est ça qui m’intéresse plus que tout. Nous avons beaucoup de messages, et nous allons y répondre mais nous manquons de temps car nous continuons à travailler activement. Quoiqu’il en soit, nous remercions énormément les gens qui sont avec nous dans cette démarche.
Pour en savoir plus sur le test ISET : www.isetbyrarecells.com
Pour aider les recherches sur les CTC de l'équipe du Pr Paterlini-Bréchot : www.stl-don.org
Propos recueillis par Noémie Sudre