Feurat Alani en un clin d'oeil
Journaliste et grand reporter d’origine irakienne, Feurat Alani est aussi l’auteur du documentaire Irak : les enfants sacrifiés de Fallujah, primé dans plusieurs festivals. En 2019, il est lauréat du Prix Albert Londres pour son roman graphique Le parfum d’Irak, publié chez Nova/Arte Editions, qui deviendra une série documentaire animée, diffusée sur Arte. En mars 2023 est paru son premier roman Je me souviens de Falloujah aux éditions JC Lattès.
Pourquoi on aime Je me souviens de Falloujah
Fiction et réalité, mémoire et oubli
Si Je me souviens de Falloujah est un roman - et le premier de l’auteur - la citation de Jean Cocteau en exergue « le roman est un mensonge qui dit toujours la vérité » sème le doute et oriente le lecteur sur la piste de l’autofiction. La voix du narrateur semble proche de celle de l’auteur et le recours possible à l’imaginaire n’est peut-être qu’un dispositif pour enrayer l’oubli. Car le point de départ de ce roman est précisément celui de l’oubli. Rami, le père du narrateur, exilé politique irakien dans les années 1970, est malade et hospitalisé. Il souffre de troubles de la mémoire importants et, d’après les diagnostics des médecins, ses jours sont comptés. Le fils, qui a toujours voulu percer le mystère de son père, affronte le dernier espoir de reconstituer une vie qu’il ne connait alors que très partiellement, et une identité que le père dit être comme une « valise vide », dans laquelle il ne faut garder que le nécessaire.
Rami, qui a toujours été taiseux, s’ouvre sur son passé et dévoile la première partie de sa vie, celle de l’Irak avant l’exil, de sa mère adorée disparue alors qu’il était très jeune, de sa presque disparition à lui, de son enfance dans la maltraitance et de ses différentes luttes, de Falloujah, sa ville natale, à Bagdad, sa ville d’émancipation. Euphrate, le fils, découvre alors le rôle fondateur dans la vie de Rami du fleuve qui lui a donné son prénom. Il découvre aussi tant de choses sur la vie irakienne de son père mais il bute sur la fin du récit des souvenirs, au moment de l’arrivée dans le pays d’adoption, la France. Pour combler les lacunes de la mémoire, reconstruire une vie et répondre aux questions cruciales de son père, « qui suis-je ? » et « ai-je réussi ma vie ? », le fils doit prendre le relais et poursuit le fil. Il remonte le temps et raconte à son père sa vie en France, pas toujours joyeuse, faite de métiers rudes, de déménagements, d’épisodes alcooliques et de dettes. C’est aussi l’occasion pour le narrateur de partir sur les traces de sa propre enfance, d’évoquer les énigmes familiales qui l’ont travaillé, de parler de sa découverte du pays d’origine, l’Irak, qu’il appelle sa « Normandie ». Ce pays chéri comme un trésor par le narrateur, enfant, il ne le reconnaîtra plus après la guerre : ce pays où son père ne voulait plus retourner mais où ils iront finalement ensemble et qui sera, lors de leur voyage, le théâtre d’une scène symbolique et tragique pour le père.
Une déclaration d'amour à son père
Dans ces ultimes moments de partage, de récits et de transmission, le père et le fils se rencontrent et se révèlent l’un à l’autre. Pourtant, loin de s’être tout dit, ils garderont leur part de mystère et le narrateur n’aura pas le temps de révéler à son père une « vérité nue » qu’il voulait lui dire le jour de sa disparition. En revanche, Euphrate saura, au fond de lui-même et encore plus intimement, à quel point son père a réussi sa vie.
La page à corner
« Mme Girard me demanda si j’acceptais de raconter à tout le monde ce que j’avais vu en Irak. Je n’eus pas le temps de répondre que Kader acquiesçait pour moi :
- Vas-y, raconte-nous ton pays chelou, le revenant !
Ricanements dans la salle de classe.
Alors, je m’exécutai. Qu’est-ce que mes camarades connaissaient de ce pays ? Rien. Et ce rien était tout pour moi. Ce rien, c’était mes origines, mon histoire, mon arbre généalogique. Ce rien, c’était cette rencontre avec la ville de mon père. Falloujah, bordée par le fleuve Euphrate dont j’avais hérité le nom. Alors, je commençai à raconter cette ville propre, verte, parfois poussiéreuse, certes moins illustre que Bagdad mais malgré tout charmante. A Falloujah, j’avais rencontré ceux dont j’avais tant imaginé les vies. Beaucoup d’oncles et de tantes. Bien plus de cousins et cousines. Moi qui me sentais si seul en France, j’avais été submergé par ces nouveaux visages. J’avais enfin une grande famille. » p.145-146
Dans la presse
«Je me souviens de Falloujah, amnésique de chambre - Un récit familial entre l’Irak et la France par Feurat Alani.
Aborder l’Irak, l’exil, l’amnésie et la fin de vie avec une immense tendresse et un brin d’humour est la prouesse que réalise Feurat Alani dans ce premier roman qui n’en est pas vraiment un. Pas de fiction en effet et beaucoup d’authenticité au contraire dans la démarche de l’auteur qui veut reconstituer les souvenirs et le parcours de son père au moment où celui-ci perd la mémoire. » Hala Kodmani - Libération
« Avec « Je me souviens de Falloujah », le journaliste, Prix Albert-Londres 2019, signe un premier roman émouvant sur l’Irak, son père et la mémoire.
Il existe une technique, en Irak, pour rafraîchir la pastèque les jours de forte chaleur : plonger dans les profondeurs de l'Euphrate pour y enterrer le fruit jusqu'à la nuit tombée. Parce qu'il voulait « devenir un homme », le jeune Rami s'est prêté à l'exercice ; il a failli se noyer. Ce souvenir lui est revenu à la fin de sa vie, alors qu'il était alité dans la chambre 219 d'un hôpital francilien pour les malades du cancer. « Je me souviens de Falloujah », a-t-il balbutié, face à son fils, prénommé Euphrate. « Je porte le nom de ce qui aurait pu tuer mon père. » Saïd Mahrane – Le Point
« Je me souviens de Falloujah, de Feurat Alani: Bagdad, mon amour
Un Irakien demande l’asile politique en France en 1972. Des années après, son fils l’interroge. C’est l’histoire d’un fils qui veut faire parler son père. Un fils né en 1980 en banlieue parisienne, un père né en Irak, à Falloujah, en 1943. De son pays qu’il avait fui pour trouver refuge en France, ce père n’avait transmis à son fils qu’une chose, comme un talisman énigmatique, son prénom, Euphrate, en hommage au fleuve au bord duquel lui-même avait grandi. » Astrid De Larminat – Le Figaro
Lucile Charlemagne