Hachette.fr : Salut, c'est Laetitia et Shannon des éditions Hachette. Et vous écoutez L’Intention, le podcast où les écrivains révèlent ce qui est au cœur de leur dernier livre et qui a guidé son écriture.
Aujourd'hui, nous recevons Serena Giuliano, autrice de six romans et d'un album jeunesse, qui ont captivé des centaines de milliers de lecteurs et de lectrices. En parallèle de son nouveau livre Felicità, la romancière publie son précédent succès au Livre de Poche. Il s'appelle Un coup de soleil, nous emmène à Salernes, au sud de l'Italie, et raconte le quotidien éprouvant mais rêveur d'Éléonore.
Femme de ménage de bientôt 40 ans, mère de deux jumeaux de 16 ans, Éléonore ne parvient pas à oublier son ancien amant. Les êtres de passage dont elle récurrent les maisons aideront-ils Éléonore à soigner ce coup de soleil qui continue de brûler sa peau ? Et Serena Giuliano dans tout cela ? Que nous dit-elle de son enfance, de son Italie à elle et de ses coups de soleil en écrivant ce roman ?
Alors le roman se déroule via Camillo-Sorgente à Salernes. C'est là où je passais quasiment tous mes weekends d'enfant puisque ma grand-mère vivait à cette adresse. Et ce sont mes souvenirs les plus heureux. Je tenais à ce que cette rue figure dans un de mes romans et c'est une sorte d'hommage. Et puis ça m'a permis de replonger dans ces moments heureux de mon enfance. L'hommage va encore plus loin puisqu’effectivement ma mère est femme de ménage et ma grand-mère était femme de ménage, donc lorsque j'étais chez elle, notamment enfant, elle m'emmenait avec elle, chez toutes ces familles chez qui elle travaillait.
Et j'adorais la suivre et entrer dans ces univers puisque l'intérieur des gens en dit beaucoup sur ce qu'ils sont. C'est vraiment entrer dans leur intimité et je me suis servie de tout ça pour créer les différentes familles chez lesquelles Éléonore, qui est mon héroïne et aussi femme de ménage, travaille. Donc je suis allée puiser dans ces souvenirs. C'était une façon de, là encore, de rendre hommage à ma mère, ma grand-mère, et puis à toutes ces femmes qui font ce métier. Ces métiers de l'ombre et qui sont pourtant essentiels à la vie de ces familles. Quelle charge mentale en moins quand on a une femme de ménage qui vient s'occuper de notre intérieur. Et puis ça m'a permis d'entrer dans l'intimité de ces personnages secondaires, de ces familles et de raconter leurs histoires.
Première intention : imaginer une héroïne du quotidien.
Alors Éléonore va avoir bientôt 40 ans, elle est française mais elle vit dans le sud de l'Italie, puisqu’enceinte de ses jumeaux, elle avait suivi son amour de jeunesse. Elle a divorcé depuis, même si elle s’entend très bien avec le père des jumeaux, et elle fait du ménage pour arrondir les fins de mois. Je voulais une héroïne mais pas une super héroïne. Je voulais une femme comme il y en a beaucoup et qui galèrent, qui est mère célibataire, qui fait un métier parce qu'il faut bien payer les factures. Et puis surtout Éléonore, elle est en plein chagrin d'amour, c'est le point de départ du roman puisqu'elle vient de se séparer de Marco dont elle est encore complètement accro. Et pour essayer de l'oublier, elle va récurer chez les autres et se rendre compte que les problèmes c'est chez tout le monde. J'aborde justement les problèmes de chaque famille qui sont plus ou moins importants, plus ou moins graves. Et elle se rend compte en mettant le nez dans ces problèmes-là que finalement, ça lui permet de relativiser aussi son chagrin à elle. Alors malgré tout, effectivement, Éléonore a beaucoup d'humour, ça lui permet d'avancer. Il y a un proverbe que j'aime beaucoup qui dit : « Le rire est comme les essuie-glaces, ça n'empêche pas la pluie, mais ça permet d'avancer ». Voilà, c'est ça. Et donc au quotidien, je m'en sers beaucoup moi de l'humour et j’en ai donné un peu à Éléonore pour que la vie soit plus douce.
Ses traits de personnalité, sa personnalité, comme pour toutes mes autres héroïnes, s'imposent à moi. C'est certainement influencé par mes proches et les rencontres que je fais dans ma vie personnelle. Mais en fait, mes personnages arrivent avec leurs bagages, leur histoire, leurs traits de caractère bien définis dès le départ dans ma tête. Donc ils s'installent, ils s'imposent et ils me disent « maintenant tu vas raconter mon histoire ». Donc Éléonore, elle est arrivée entière, je n’ai pas eu à la façonner. J'ai eu juste besoin qu'elle me raconte son histoire pour que je la livre à mon tour à mes lecteurs. Alors les semaines d’Éléonore sont rythmées par un client par jour de la semaine. Elle a des relations différentes avec chacun, plus ou moins proches, plus ou moins intimes et il y en a qu'elle apprécie davantage que d'autres.
Elle commence le lundi par le docteur Di Martino, qui est un cardiologue veuf, elle aime bien commencer sa semaine par lui, c'est sa petite routine. Elle prend son café sur son balcon parce qu'il lui impose une pause et elle ne le croise pas souvent, mais elle est quand même assez attachée à lui. Et puis au fur et à mesure des semaines, il va vouloir rencontrer à nouveau l'amour et donc il va demander conseil à Éléonore.
Le mardi, c'est la Signora Rizzo qui est une dame âgée et qui vit seule et qui attend les visites d’Éléonore pas tant pour le ménage, mais pour qu'elle lui raconte ses histoires d'amour. C'est un peu sa série préférée, Éléonore. Elle recherche auprès d’Éléonore de la compagnie pour briser un peu sa solitude et sa routine.
Le mercredi, c'est la famille Ferrara, qu’Éléonore n’apprécie pas beaucoup, parce que déjà elle doit y aller en cachette, parce que le mari pense que c'est à sa femme de faire le ménage et pas une femme de ménage, et la femme n’est pas très agréable avec elle, elle lui donne des ordres, elle lui fait des listes sans dire ni bonjour, ni merci. Et donc elle y va un peu à contrecœur. Mais il faut bien payer les factures.
Le jeudi, c’est la Signora Marino, qui est voyante. Éléonore va chez elle surtout pour dépoussiérer sa grande bibliothèque. C'est un personnage qui l'intrigue beaucoup parce qu’elle a effectivement un don, alors qu’Éléonore ne lui raconte rien, Claudia voit bien qu'il y a quelque chose qui cloche et donc elle pose des questions, elle veut savoir pourquoi elle est tourmentée.
Le vendredi, c'est chez le couple Landi, qui est en détresse parce qu'ils essaient d'avoir un enfant alors qu'ils ont tout pour être heureux. Ils sont amoureux, ils sont riches, ils ont une carrière qui se porte bien et ils ont cette douleur-là de ne pas réussir à avoir un enfant et Éléonore assiste impuissante au chagrin de cette femme qui aimerait devenir mère.
Le vendredi après-midi, c'est un personnage un peu mystérieux puisque Éléonore ne l’a jamais croisé. Elle a ses clefs, elle va chez lui, fait le ménage et repart. Elle ne sait pas vraiment qui se cache derrière cette porte, on va peut-être le découvrir au fur et à mesure.
Chaque famille m'a permis d'aborder un sujet qui me tenait à cœur et permet aussi à Éléonore de réparer quelque chose chez elle.
Deuxième intention : passer du rire aux larmes.
Alors c'est vrai que mes romans traitent tous de sujets assez difficiles, mais je ne veux pas qu'ils soient sombres pour autant. Parce que, quoi qu'on vive dans la vie, finalement, il y a quand même toujours un peu de lumière. Donc j'ai envie d'exploiter la lumière, la légèreté, l'humour, pour traiter de ces sujets-là. Parce que j'ai aussi l'impression que le message passe mieux si entre deux phrases difficiles on glisse un éclat de rire.
Et comment chemine les émotions ? C'est difficile de les mettre en ordre dans ma tête, donc c'est assez intuitif en fait, je me laisse porter par l'écriture et c'est comme ça que je range les émotions. C'est parce que c'est l'écriture qui me permet de poser tout ça à plat et d'avancer. Donc finalement, j'avance en même temps que mes personnages et les émotions aussi. Il n’y a rien de calculé, juste, je me laisse porter. Et Éléonore est obsédée par Marco au début du roman. Elle est dans la phase post-rupture où elle le stalk, elle pense à lui toute la journée, elle s'empêche de regarder son téléphone parce qu'elle attend un message alors que c'est elle qui l'a quitté. Mais elle attend quand même qu'il revienne. Et puis à chaque fois qu'il n'y a pas de notification, elle le vit très mal.
Je voulais traiter de l'obsession amoureuse, de l’obsession en général, parce que je suis quelqu'un d'assez obsessionnelle et j'ai du mal, enfin, je vis toujours les émotions à fond. Et j'en ai tiré une conclusion en écrivant ce roman, c'est que le seul remède à la guérison pour être moins dans cette obsession-là, c'est le temps. C'est le temps et aussi de lever les yeux et de regarder les autres. De s'intéresser aux autres, d'échanges avec les autres, puisque ça, un, ça nous permet de relativiser notre propre douleur. Et puis aussi d'accepter que la souffrance, c'est un peu un passage obligatoire, surtout quand on a été amoureux, quand on a vécu quelque chose de très fort. Quand ça s'arrête, oui, on souffre, c'est un fait. Maintenant, comment on passe à autre chose ? Et bien, on se laisse le temps d'accepter ce qui se passe, on s'ouvre aux autres et on attend que le temps fasse son œuvre.
Laura, c'est la meilleure amie des jumeaux, donc les enfants d’Eléonore et qui est victime de maltraitance au sein de sa famille et que Éléonore accueille chez elle au quotidien puisqu’elle vient souvent, après une dispute avec ses parents, se réfugier chez elle. Éléonore se retrouve beaucoup, même si elles ont des histoires différentes avec Laura, puisque Éléonore a elle-même été rejetée par ses parents lorsqu'elle a fait le choix de suivre le père de ses enfants et elle ne conçoit pas qu'on puisse être rejeté par ses propres parents et elle ne supporte pas la violence, donc pour elle c'est naturel d'ouvrir les bras à cet enfant.
Le sujet de la maltraitance ce n’est pas la première fois que je l'aborde dans mes romans. Ça me tient à cœur de faire passer le message que si on n'a pas les bonnes bases, enfant, on devient un adulte bancal et c'est plus compliqué ensuite de se redresser. Les violences qu'on subit enfant, nous suivrons toute notre vie et c'est sûr, ça met la pression sur les parents, d'être de bons parents, mais il y a vraiment des choses intolérables et heureusement qu'il y a d'autres adultes, comme Eléonore, qui viennent un petit peu soigner et rattraper ce que les parents de Laura ne sont pas capables de faire. Et ce sera ce qui va sauver finalement Laura.
Troisième intention : déconstruire le mythe de la mère parfaite
Alors, j'ai commencé par un blog sur la maternité il y a 10 ans, d'ailleurs c'est marrant parce qu'il y a des lectrices qui me suivent depuis cette époque-là et qui viennent aujourd'hui me voir en dédicace avec mes livres. Souvent, elles étaient enceintes ou mères de tous petits enfants. Et puis là, je vois des grands enfants, c'est hyper touchant. J'avais déjà, à l'époque, beaucoup appris sur la maternité grâce à ces femmes qui me lisaient. J'avais appris notamment à dédramatiser, le fait de ne pas être une mère parfaite et de ne pas toujours y arriver. La société met beaucoup de pression aux femmes et aux mères, et quand j'ai créé ce blog, je voulais justement voir s'il y avait d'autres mères comme moi qui galéraient en fait tout simplement et qui n'y arrivaient pas toujours. Donc, ça m'avait permis de dédramatiser à ce moment-là. Et c'est aussi le message que j'ai voulu faire passer par le biais d’Éléonore. C'est impossible d'être une mère parfaite, les mères parfaites n'ont pas d'enfant, donc j'ai compris qu'on fait de notre mieux. Et qu'on a le droit de se tromper, qu'il faut s'excuser auprès de ses enfants quand on n'y arrive pas et leur montrer aussi qu'une mère ce n'est pas une super-héroïne, c'est juste un être humain un peu plus adulte qu'eux et qui se débrouille comme il peut.
Hachette.fr : Quatrième intention : écrire et lire pour se réparer
C'est un roman personnel parce qu'il y a beaucoup de souvenirs, des lieux d'enfance, etc. Mais dans tous mes romans, je mets un petit peu de moi dans les héroïnes. C'est une façon pour moi de me délester de certaines choses, enfin, ça ne fonctionne pas toujours, mais en tout cas ça me permet de poser ça quelque part. Il y a, bien sûr des choses plus difficiles à écrire que d'autres, mais finalement l'écriture a toujours, c'est un peu cliché de dire ça, mais l'écriture a toujours été pour moi une thérapie et ça continue de l'être, et surtout là où ça me répare, c'est quand j'ai les retours des lecteurs qui me disent "Tu m'as aidé, tu as mis des mots sur ce que je ressentais, tu as...". Et donc c'est dans un premier temps assez égoïste. C'est pour me faire du bien à moi et pour m'apaiser. Mais ensuite leur retour à elles, je dis "elles" parce que j'ai plus de lectrices que de lecteurs. C'est un vrai médicament, un vrai pansement sur tout ça. Et je crois que finalement, on s'aide mutuellement avec les lectrices. Et ça, ça a fait beaucoup de bien. Même si parfois c'est douloureux, mais c'est comme les ruptures amoureuses, on est obligé de passer par la douleur pour ensuite aller mieux. Donc maintenant que je le sais, c'est plus facile.
J'adore quand mes lecteurs m'envoient des photos depuis l'Italie en me disant, "je suis là grâce à toi, je suis là pour être sur les traces de tes héroïnes". Ça me rend folle de joie. Mais ce qui me fait encore plus plaisir, c'est quand à la fin de la lecture, mon roman a aidé à prendre une décision, à aller consulter un psy, à quitter un homme toxique, à pardonner, à juste avancer. Pour moi, les livres sont des rencontres et lorsqu'un livre arrive au bon moment dans la vie d'un lecteur, il peut chambouler pas mal de choses. Et quand mes personnages sont à l'origine d'un chamboulement dans la vie d'un lecteur, ça me fait plaisir, ça me rend très fière, et puis ça me rend heureuse.
Et parfois, c'est à la fin de la lecture, comme un sursaut, on se dit, "OK, moi aussi je vais faire ça, je suis capable, je peux le faire" et donner un peu confiance, donner de la force au lecteur, je me dis c'est pour ça que j'écris.
Hachette.fr : C'est l'heure des cadeaux
Il y a une phrase que j'aime bien et que j'aimerais offrir aux auditeurs, qui dit : "Parce que l'amour, c'est ça justement, ça ne s'explique pas, ça se ressent. Ça n'a pas de logique, pas de sens. C'est là, ça te torture et ça te rend heureux en même temps. C'est le baromètre de tes émotions, la météo de tes journées."
À la fin du roman, il y a la playlist d’Éléonore, qui est ma playlist un peu honteuse, avec les chansons que je trouve formidables. Mais s'il y a une chanson qui résume le livre, c'est évidemment Un coup de soleil de Riccardo Cocciante.
"J'ai attrapé un coup de soleil, un coup d'amour, un coup de je t'aime." C'est clairement ce qui est arrivé à Éléonore.
"Faut qu'j'me rappelle
Si c'est un rêve, t'es super belle
J'dors plus la nuit, j'fais des voyages
Sur des bateaux qui font naufrage
J'te vois toute nue sur du satin
Et j'en dors plus, viens m'voir demain"
Hachette.fr : C'était L'Intention, le podcast des éditions Hachette où les écrivains de fiction, de non-fiction, de BD et de jeunesse révèlent l'intention cruciale au cœur de leur dernier livre.
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Concept éditorial : Hachette Digital en collaboration avec Lauren Malka
Voix et interview : Laetitia Joubert et Shannon Humbert
Écriture : Lauren Malka
Montage, musique originale : Maképrod
Conception graphique : Lola Taunay
Photographie : © Christophe Martin
Extrait musical : "Le coup de soleil » de Riccardo Cocciante, album « Richard Cocciante », Polydor International 1980