Tops et sélections
26 Octobre 2015
Pour soigner bobos physiques ou peines du quotidien, ce n’est plus d’un pharmacien dont vous avez besoin mais bien d’un libraire. Avec Remèdes littéraires (JC Lattès), Ella Berthoud et Susan Elderkin vous proposent les prescriptions dont vous aurez sans doute besoin, classiques ou contemporains. Bref, que vous souffriez de chômage ou de constipation, croyez-nous, ce n’est ni Pôle emploi ni du charbon de Belloc qu'il vous faut mais bel et bien des bouquins. Voici six exemples pleins d’érudition et d’humour tirés de Remèdes littéraires. Par N.S
1 – Si vous souffrez d’un amour non partagé, choisissez le vaccin Goethe
(…) "La littérature est emplie de caractère comparables, tourmentés et stupides, prêts à mourir pour l’amour de quelqu’un qui n’a pour commencer, rien demandé. Le pire dans la bande est le Werther de Goethe dans Les Souffrances du jeune Werther, âme sensible dont l’amour désespéré pour la jeune Charlotte, déjà prise et heureuse avec quelqu’un d’autre quand ils se rencontrent, l’amène à en finir avec la vie de désespoir." (p. 56). Le mouvement romantique du Sturm und Drang ("tempête et passion"), que le roman avait inspiré, donna lieu à une vague de suicides dans des mises en scène copiées sur le modèle. Un excès que les auteurs de Remèdes littéraires déconseillent bien évidemment : "Si vous sentez que vous êtes du genre à vous complaire dans la tragédie d’un amour non partagé, nous vous conseillons de prendre vos distances avec Les Souffrances." A s’administrer comme un vaccin donc.
2- Contre la couardise, une bonne dose d’Harper Lee.
"Si vous avez tendance à refouler vos émotions, à vous dégonfler ou à laisser les autres prendre les coups (…) inspirez-vous des prouesses des personnages les plus braves de la littérature", conseillent les auteurs. A commencer par Atticus Finch, le célèbre avocat et père célibataire du roman culte d’Harper Lee, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur (dont la suite, Va et poste une sentinelle vient de sortir chez Grasset). Ce dernier "révèle sa bravoure face au danger physique quand il abat calmement, du premier coup, un chien enragé dans la rue principale de Maycomb, dans l’Alabama. Cet exploit lui vaut l’admiration immédiate et ébahie de ses deux enfants, Jem et Scout, qui jusque-là, le considéraient comme un être faible, à moitié bigleux, étant plus âgé que les autres pères de la ville. (…) Mais c’est dans le courage qu’il met à défendre Tom Robinson, un Noir accusé d’avoir violé une femme blanche dans une ville où les comportements racistes sont monnaie courante qu’il leur livre – et à nous aussi – le plus grand enseignement. Assez courageux pour tenir bon même quand ses enfants sont harcelés à l’école à cause de la posture morale de leur père, assez courageux pour affronter – seul – une populace agressive résolue à lyncher Robinson dans la prison locale, Atticus est fait de l’étoffe des hommes d’exception." (pp. 327-328).
3 – Pour dire adieu au rhume des foins, enfoncez-vous Vingt mille lieues sous les mers.
"Peut-être est-ce le rhume des foins qui a amené le capitaine Nemo, le mystérieux voyageur marin du plus célèbre roman de Verne, à choisir cette drôle de vie aquatique. (…) Quand ces maudites poussières de pollen menacent de vous envahir la tête, attrapez le livre de Verne et échappez-vous dans le royaume sous-marin, à l’abri de l’air, du capitaine Nemo. Allez savoir, cela vous donnera peut-être l’envie de créer votre propre Nautilus, ou de vous accrocher une bonbonne d’oxygène sur le dos pour attaquer les profondeurs à votre tour." (pp. 465-466).
4 – Si vous êtes du style à ne pas prendre assez de risques, écoutez "Joseph".
"Il y a les forts en gueule et les taiseux. Ceux qui avancent à pas de géant, croquent la vie à pleines dents, partent au quart de tour. Et ceux qui ne bougent pas d’un millimètre, s’interrogent sur leurs moindres gestes et cheminent en douceur. Prenez Joseph, l’homme ordinaire du roman de Marie-Hélène Lafon. Ce dernier a cinquante-huit ans, bientôt cinquante-neuf. Il a vu le jour au bord de la Santoire dans le Cantal. Joseph regarde le patinage artistique à la télévision, dort à plat sur le dos, sans oreiller ni traversin. Sa mémoire est encore vive. (…) Le voici qui fait sa toilette au lavabo de l’étable, s’occupe du nettoyage à la laiterie, des bricoles à ranger ou à réparer dans l’arrière-cour. (…) De l’aveu même de son auteure Joseph est une "épopée ordinaire de haute solitude", un "road movie immobile". (…) Ne pas prendre assez de risques a des chances de vous limiter. Un peu d’audace que diable ! Essayez juste de bien doser et de vous assurer que le jeu en vaut la chandelle". (pp. 466-467).
5 – Une tache sur la cravate ? Adieu gel détachant avant lavage, bonjour Rose Tremain !
Il est des soucis minuscules qui peuvent vous gâcher la vie. Ou au moins la journée. Si vous découvrez, au moment le plus important de votre vie professionnelle, une petite tache de jaune d’œuf sur votre cravate – une pécadille mais bien visible – "faite la connaissance de Robert Merivel, le héros du roman de Rose Tremain, Le Don du roi, qui a pour cadre la cour débauchée du roi d’Angleterre Charles II. Merivel raffole des plaisirs grivois qui étaient ceux de la vie au XVIIe siècle. On le surprend souvent les bas autour des chevilles en train de faire des galipettes avec une gueuse, ou riant si fort qu’il projette une bouchée de pudding au raisin de l’autre côté de la table lors d’un banquet. (…) Alors que le souverain vient de lui proposer le poste insigne de médecin de la Cour auprès des chiens de Sa Majesté, (…) Merivel remarque une tache d’œuf sur ses hauts-de-chausses. Ça n’a aucune importance. Enchanté par Merivel, par son appétit pour la vie et sa capacité à péter sur demande, le roi décide d’accorder toutes sortes de faveurs à son fantasque nouvel ami. Cela ne durera pas, mais le message demeure : si vous avez le don de tacher vos vêtement avec de la nourriture, ça peut être un atout. C’est juste une question de contexte." (pp. 511-512).
6 – Bipolaire ? L’infirmière Titiou Lecoq va vous recevoir.
"Sans télé on ressent davantage le froid. C’est marrant cette phrase. J’aime bien ce titre, je me lance !", conseille la libraire Olivia Bruhannic (Librairie Lamartine, Paris 16e). "Je me lance et, ô miracle, un sourire. Un vrai. Le premier depuis tellement longtemps ! Elle est timbrée cette auteure. Mais tellement drôle ! Je me sens moins seule d’un coup ! J’ai l’impression d’être face à un miroir. Je lis un peu ma vie. Sauf qu’elle réussit à faire de mon quotidien galère de trentenaire célibataire un bijou d’humour cynique. Je ris. Je ris de moi. Je pleure un peu aussi mais ça soulage. Je me sens vivante à nouveau. (…) Pour tous les bipolaires déprimés, voilà mon ordonnance : Sans télé on ressent davantage le froid, de Titiou Lecoq. A lire d’une traite. Avant de rejoindre sa meilleure amie pour boire des coups. Je vous promets que ce livre et ses éclats de rire vous aideront à remonter la pente !" (pp. 522-523.