Didier Decoin en un clin d'oeil
Didier Decoin est écrivain et scénariste. Auteur d’une vingtaine de livres, il est lauréat du Prix Goncourt en 1977 pour John L’Enfer. Membre de l’Académie Goncourt depuis 1995, il succède à Bernard Pivot en 2020 et en devient le Président. Après son roman Le Bureau des Jardins et des Étangs qu’il publie chez Stock en 2017, puis au Livre de Poche en 2018 et adapté en livre graphique en 2022, Le nageur de Bizerte est sorti en ce début d’année 2023, chez Stock.
Pourquoi on aime Le nageur de Bizerte
Un voyage entre l'Ukraine et la Tunisie
En 1921, dans le port de Bizerte, en Tunisie alors sous protectorat français, comme tous les jours nage Tarik, un « bouchkara », ou docker, jusqu’à ce qu’il heurte un obstacle dont il ne peut identifier la nature et qu’il nomme spontanément la « muraille ». Alors qu’il reconnait en cet objet étrange un monstrueux navire, il est ébloui par la présence et la voix d’une femme sur le bastingage, en robe blanche.
La femme qui est apparu à Tarik sur le navire s’appelle Yelena. Elle est issue de l’aristocratie ukrainienne. Passionnée de Tchekov et en particulier de La Cerisaie à tel point qu’elle s’identifie à son héroïne, elle a fui le régime Bolchevik avec sa tante sur décision de son père, avant qu’il ne soit trop tard. Ce qu’elle ignore, c’est qu’elle est poursuivie par un capitaine de l’Armée rouge et un cosaque, prêts à tout pour l’éliminer.
Orphelin de père, Tarik, quant à lui, mène une existence modeste à Bizerte, avec sa mère qu’il adore et sa sœur d’une beauté remarquable et très convoitée alors qu’elle est en âge de se marier.
L'histoire d'un amour impossible
Foudroyé par l’apparition inattendue de Yelena sur le bastingage du navire au début du roman, Tarik, sorte de Roméo observant Juliette sur son balcon, ne cherchera plus qu’à revoir cette jeune femme. De quelle manière ces deux personnages que tout oppose vont-ils pouvoir se rencontrer ? Seront-ils en mesure de communiquer ? Tarik pourra t-il sauver Yelena et pourront-ils s’aimer ?
De cette scène inaugurale de rencontre, Didier Decoin déploie son récit qui alterne entre l’histoire de Yelena, de sa vie d’aristocrate en Ukraine à son périple et son arrivée en Tunisie en tant que réfugiée, à celle de Tarik, sa vie quotidienne rudimentaire et modeste dans sa famille berbère et avec son entourage, à Bizerte.
Un fait historique méconnu et des thèmes en résonance avec l'actualité
Au début des années 1920, alors que la Révolution fait rage sur le territoire russe, des milliers de « blancs » qui fuient les massacres des Bolcheviks sont accueillis en Tunisie, alors sous protectorat français. Ces réfugiés arrivés par la mer vont devoir rester confinés quatre ans sur le navire qui les a transportés et qu’ils organisent en petite ville pour continuer à vivre. De cet événement historique méconnu, Didier Decoin tisse un roman intrigant, sensoriel et sensuel.
Reprenant le thème de Roméo et Juliette, Didier Decoin revient sur l’histoire de la Russie et de l’Ukraine d’il y a un siècle exactement. Le romancier éclaire le sujet des réfugiés russes de la Révolution, que seule la France accepte dans le port de son protectorat, en Tunisie, à la condition qu’ils restent à bord de leur navire, dans l’attente de la reconnaissance de l’Union soviétique.
La page à corner
« Dans l’espoir de revoir la jeune femme en blanc, Tarik avait donc rejoint l’équipage de la baleinière chargé d’aller de bateau en bateau distribuer aux émigrés argent et denrées de première nécessité. La répartition des vivres avait lieu au coucher du soleil, lorsque la chaleur commençait à s’atténuer et que se levait le nordet, le vent dominant qui ouvrait dans les eaux légèrement turbides d’éphémères griffures d’un bleu de glacier. Le dynamisme et les compétences du bouchkara lui avaient vite valu d’être considéré comme le véritable patron de la baleinière, même si la responsabilité de l’embarcation avait été confiée à un quartier-maître. La mission demandait de réels efforts physiques qui, dans la touffeur du jour, avaient vite fait d’épuiser les hommes. Le rôle de Tarik consistait à transférer sur le pont du bâtiment visité les vivres préparés et empilés par les matelots du France et du Waldeck-Rousseau dans des sacs paquetage réformés, en lin écru, parfois décorés de peintures naïves, et qui avaient pour signe particulier d’exhaler de fades relents de cantine qu’exaspérait l’ardeur du soleil. Les bateaux étant mouillés en pleine rade, on ne pouvait accéder à leur bord qu’en se hissant le long de la coque, les narines collées contre la saleté de paquetage puant, en empoignant une échelle de corde soumise à un ballant impressionnant qui, pour peu qu’il y eût du clapot, faisait valdinguer le grimpeur contre le flanc du navire. » p.226-227
Dans la presse
« En 1921, des dizaines de navires dans lesquels s’entassent des milliers de Russes fuyant les bolcheviks se réfugient dans la lagune de Bizerte, en Tunisie. Un roman flamboyant. » Astrid De Larminat – Le Figaro Littéraire
« Bizerte, janvier 1921.Tarik, un jeune docker qui nage à l’entrée du port tunisien, se heurte à une muraille d'acier : un cuirassé. Le vieux navire de guerre est plein à craquer de Russes blancs qui fuient la poussée des bolcheviques. Parmi eux, Tarik entrevoit, appuyée au bastingage, une jeune femme élégante à la voix « caracoulant des mots inconnus aux accents modulés comme des coulées de miel de Kairouan ». Le voici ensorcelé. » Denis Cosnard – Le Monde des Livres
« Son statut de vénérable président de l’académie Goncourt ne doit pas faire oublier que Didier Decoin fut jadis un jeune auteur friand d’amours impossibles, de personnages très différents de lui et de grands voyages dans l’espace ou le temps – le héros de son roman John L’Enfer, prix Goncourt 1977, était un Cheyenne laveur de carreaux à New York ! » Louis-Henri de la Rochefoucauld – L’Express
« Il dormait ce souvenir, le museau enfoui dans les draps, brumeux du passé. C’était un matin en rade de Brest, lors d’une interview sur le canot d’Olivier de Kersauson, que le marin était venu coller au pied d’un navire au mouillage. Un paravent de nuit haut comme un immeuble. Oui, dès la première scène du Nageur de Bizerte, où le docker Tarik se retrouve plaqué contre le ventre d’un cuirassé, m’est revenu cet électrochoc entre l’infime et la démesure qui m’avait enveloppé tandis que je posais le plat de ma main sur le flanc du monstre. » Pierre Vavasseur – Le Parisien
Lucile Charlemagne