Philippe Claudel en un clin d'oeil
Écrivain traduit dans le monde entier, cinéaste et dramaturge, Philippe Claudel est également secrétaire général de l’Académie Goncourt. Il est l’auteur de près de vingt romans, dont Les Ames grises, prix Renaudot en 2003 et Le Rapport de Brodeck, Prix Goncourt des lycéens en 2007. Avec Crépuscule, l’un des romans attendus de la rentrée d’hier 2023 chez Stock, il signe un conte noir sur l’âme et les sociétés humaines.
Pourquoi on aime Crépuscule
Une intrigue policière comme point de départ
Crépuscule, le dernier roman de Philippe Claudel, sorti en janvier, débute par un meurtre. Le curé Pernieg est retrouvé assassiné dans la neige, une nuit. Alertés par les enfants du sabotier veuf, le policier Nourio et son adjoint Baraj ouvrent une enquête.
L’histoire se déroule dans un village reculé d’un Empire qu’on ne peut situer précisément, ni dans l’espace, ni dans le temps : un endroit où cohabitent jusqu’alors pacifiquement deux religions, l’Islam et le Christianisme. Ce pays est assez loin dans le temps pour que n’existent pas encore l’électricité, ou même la voiture, mais le monde décrit dans le livre de Philippe Claudel est irrémédiablement celui des hommes d’hier, mais aussi d’aujourd’hui.
Gonflé d’orgueil à l’idée d’avoir enfin un rôle à jouer dans une bourgade jusqu’alors trop tranquille, le Policier Nourio, être par ailleurs très soumis à ses pulsions sexuelles, résout l’enquête avec vanité, paresse, et dans l’intérêt qu’il pense pouvoir gagner dans la désignation d’un coupable qui ne l’est pas. L’assassinat du curé, dont on ignore jusqu’à la fin le véritable coupable, est l’élément déclencheur d’un engrenage infernal, semant la méfiance, distillant la haine et offrant la possibilité aux autorités qui gouvernent de loin, de reprendre le contrôle par la manipulation.
Crépuscule, un conte noir
Le crépuscule est le moment où déclinent le jour, parfois la vie de manière figurée, ou encore, ici, dans le dernier roman de Philippe Claudel, un Empire et peut-être même, un monde.
Ce crépuscule est à espérer tant le roman, grande histoire noire de 500 pages sous forme de conte, met en avant les bassesses de l’âme humaine, les rouages de la manipulation et du pouvoir, l’orgueil et la vanité. Lâcheté, vilenie, bas instincts, prédation, négationnisme, bêtise, tous les traits humains les moins flatteurs sont incarnés dans Crépuscule, par les hommes principalement, et plus précisément par ceux qui exercent une fonction d’autorité : Maire, Policier, Notaire, Capitaine… Pourtant, il s’agit bien là d’un conte, tant chaque personnage semble jouer un rôle archétypal et le roman révéler une sorte de « morale de l’histoire ».
Le crépuscule, c’est aussi et malgré tout une lueur. Celle-ci s’aperçoit à certains moments dans le roman : lorsque, par exemple, le policier qui, se retrouvant piégé, cherche enfin la vérité. Mais c’est trop tard.
Au fil du roman, la lueur et l’espoir se nichent surtout dans les valeurs qu’incarne la gente féminine, bien majoritairement. La noblesse se trouve dans la naïveté ou la gaucherie, les êtres purs ou oubliés, les instincts louables sont ceux de la justice dont l’âme innocente s’est forgé un sentiment. La vraie qualité de l’homme semble être celle du poète, même celui qui s’ignore…
La page à corner
« On en était aux liqueurs et chacun était gris. Même le Margrave, qui n’aimait pas la chasse mais prisait les dîners interminables, peinait à parler, trébuchant parfois sur une syllabe difficile ou un mot un peu trop long. L’étiquette avait sauté.On était entre hommes simplement. Entre hommes ivres. Il faut dire qu’on avait bu plus que dévoré, même si on avait aussi beaucoup dévoré : des tourtes, des potages, des pâtés, des civets, des gibelottes, une oie farcie, un marcassin en gelée, des salades, des fromages, des gâteaux à la crème, des fruits confits, des chocolats. Mais on avait bu plus encore. Des punchs, du champagne de cette belle veuve française – à propos de laquelle, sans l’avoir jamais vue, on fit d’égrillardes plaisanteries –, des vins blancs de Bohême, des spumanti d’Italie, des vins rouges de Vosne-Romanée et de Saint-Émilion, des tokaj de Hongrie, des liqueurs d’Espagne, des alcools blancs d’Autriche, de la vodka de Pologne, des abricotines du Valais suisse. Nourio n’était pas le plus saoul de tous, bien au contraire. Il avait plutôt fait semblant de boire, trempant le bout des lèvres dans les beaux verres en cristal, et le moins endurant avait été le Notaire qui s’était effondré au milieu du repas dans sa tranche de marcassin et y ronflait encore, le nez et les oreilles recouverts de gelée au porto. Cependant, en raison de son réveil précoce, des émotions de la journée, de ce dîner qui n’en finissait pas, le Policier se sentait épuisé et avait l’impression que tous les trophées, par centaines accrochés aux murs de l’immense salle à manger, commençaient à se pencher sur lui pour lui faire la conversation. Aussi préféra-t-il le café aux liqueurs quand les domestiques en proposèrent. Certes on avait reparlé de la partie de chasse durant les agapes, le Maire ressassant son coup de carabine, tout autant pour s’en vanter que pour se persuader qu’il en était l’auteur, mais la ripaille aidant, on avait dévié vers d’autres sujets éternels, les femmes, l’argent, la terre, le Turc, le Tsar, l’administration du monde. » p. 377-378
Dans la presse
« Crépuscule » : Philippe Claudel embrasse la noirceur métaphysique - Sous un canevas socio-policier allégorique, le nouveau roman de l’écrivain ose une prose pleine de surprises.
Dès les premières pages de Crépuscule, son imposant nouveau roman, Philippe Claudel réussit un drôle de tour, en nous transportant dans un pays familier et pourtant difficile à reconnaître, comme le souvenir soudain revenu d’un rêve entêtant, ou peut-être ce cauchemar dont on ne se réveille pas, ainsi que Joyce définissait l’histoire.
Fabrice Gabriel - Le Monde des livres
Philippe Claudel, aux marches de l’Empire - Dans « Crépuscule », le meurtre d’un curé déclenche une fable sombre.
Il était une fois, dans un pays fort fort lointain… Aux confins de l’Empire dans une province minérale et glacée, près d’une de ces frontières qui fascinent Philippe Claudel (il leur a consacré un essai l’été dernier), un curé est retrouvé assassiné dans une ruelle sombre un soir d’hiver. Qui peut avoir commis ce crime sacrilège ? Opposera-t-il les communautés chrétiennes et musulmanes qui cohabitaient sans heurts. Le policier chargé de l’enquête, médiocre personnage, va-t-il parvenir à élucider l’affaire ?
Fabrice Drouzy - Libération
Avec « Crépuscule », Philippe Claudel déroule le spectre des passions humaines - À partir du meurtre d’un prêtre, Philippe Claudel, auteur des « Âmes grises », déroule une enquête passant par toutes les couleurs du spectre des passions humaines.
Une bourgade isolée, à la frontière d’un pays dont la bannière est frappée d’un croissant d’or. L’hiver interminable y est « une mort recommencée chaque jour ». La mort, justement, vient troubler le quotidien « rugueux et primaire » de la morne communauté : son curé est retrouvé gisant dans la neige, le crâne défoncé à coups de pierre. Pour l’inspecteur Nourio, le crime a des allures d’aubaine.
Laëtitia Favro – JDD
Lucile Charlemagne